Imaginez que vous ayez un bébé parfait...
Le site de l'auteur : Jeanne-A, Changelin I, Changelin II, Changelin III ...Rue89 a écrit :Oubliées les souffrances de l’accouchement : votre
nouveau-né est beau, gracieux et fort. Il dort la nuit
et sourit le jour, gémit à peine quand il a faim, rit tout
seul dans son berceau. Votre enfer va bientôt commencer.
Imaginez que vous ayez un bébé parfait. Il est beau. Il est
gracieux. Il est fort. Il fait ses nuits quasiment tout de suite,
et elles sont longues.
Vous oubliez vite l’horreur qu’a été votre accouchement pour
adorer ce miracle qui gémit à peine pour signifier qu’il a faim,
puis, repu, sourit aux anges dans son berceau. Il gazouille,
parfois même il rit tout seul. Vous ne savez pas pourquoi,
mais vous riez avec lui.
Vous avez tort de rire. Il apprend à marcher et l’enfer se
déchaine. Il ne gazouille plus, il hurle. Des cris terribles,
térébrants, des cris qui vous prennent aux tripes avant
de vous assourdir.
Des cris qui vous tuent. Des cris qui ne s’éteignent que
lorsqu’il s’endort. Parce que le vôtre dort… D’autres
comme lui ne dorment jamais, leurs parents en meurent.
Vous, vous survivez.Tout juste. Mais vous survivez.
Il ne marche pas d’ailleurs, il vole. Il est partout à la fois
et nulle part. Rien ne l’arrête, ne l’apaise, ne l’intéresse.
Il ne prend plaisir à rien et c’est sans doute cela le pire.
Les fées sont venues, elles ont volé l’enfant parfait et l’ont
remplacé par un des leurs, qui meurt de ne pas dénicher Avalon.
Il est autiste. Un jour, le mot tombe comme une condamnation,
on vous le donne, on vous en fait l’aumône. Mais le plus souvent,
il vous a fallu l’arracher ; personne ne souhaitant jamais vous
dire la vérité – de peur de « verrouiller le diagnostic »,
vous dit-on. Mon cul.
On a eu surtout peur de vous regarder en face au moment de l’énoncé.
Peur que vous compreniez que ces interminables séances
de psychanalyse – où l’on a essayé de vous faire avaler,
jour après jour, que votre enfant mourait de votre soi-disant
désamour, où l’on vous a soigné, vous, d’une maladie que
vous n’aviez pas, sans traiter ses symptômes à lui, qui le tuent
et vous tuent – n’ont servi qu’à vous épuiser un peu plus, qu’à
assurer sur vous la toute-puissance d’un soignant terroriste.
Un soignant incapable d’accepter la critique
Ce même soignant se montrera encore plus nuisible plus
tard –, incapable de se remettre en cause, ni lui, ni le credo
de sa chapelle, malgré les faits nouveaux, les études récentes
qui lui ont hurlé encore plus fort que votre enfant qu’il se
trompait, que son église avait tort.
Lorsque vous lui écrirez qu’on a diagnostiqué votre enfant et
que vous le priez d’écouter mieux ses patients la prochaine fois,
pour faire moins de dégâts, ce soignant ne vous répondra pas.
Mais dans votre dos, il écrira à son tour une lettre aux nouveaux
praticiens en charge de votre fils pour les prévenir que vous êtes
fabulatrice et dépressive.
Cela dit, dépressive vous l’êtes, surtout si la dépression consiste
à manifester du chagrin devant les événements malheureux.
Le seul café tranquille de votre semaine
Puis l’enfant grandit. Il progresse, lentement, mais il progresse.
Vous vous battez pour chaque acquisition qu’un enfant normal
obtient sans y penser. Il faut même le forcer au plaisir.
En attendant, il vous traverse si vous vous dressez
sur son chemin. Il ne sait même pas qu’il est là,
comment se rendrait-il compte de votre présence ?
Il est assez grand pour faire un peu de sport. Vous pensez
que le contact avec les animaux, une façon différente de penser
le monde, lui permettrait de voir les choses autrement.
Vous l’emmenez apprendre à monter à cheval. Tout va bien,
les moniteurs sont patients, dévoués. L’heure qu’il passe
à la carrière monté sur son poney docile, vous vous reposez
un peu au club house devant un café, le seul café tranquille
et silencieux de votre semaine.
Vous respirez. Doucement, pour ne déranger personne.
« Le petit handicapé que vous accueillez dans le groupe de ma fille »
Un jour, le téléphone sonne. Le moniteur répond en mettant
le haut parleur. Et votre café gèle dans votre tasse, parce
que voici ce que vous entendez :
« Bonjour, je suis madame XXX, la maman de la petite Y. Je tiens
à vous rappeler au préalable que ma fille vient cinq fois par semaine. »
Le moniteur, perplexe :
« Je suis au courant. Et ?
– Avec d’autres parents, nous sommes réunis et nous sommes
tombés d’accord : le petit handicapé que vous accueillez dans
le groupe de ma fille nuit à la rapidité de ses progrès ainsi que
de ses petits camarades, nous pensons que pour le bien de tous,
il vaudrait mieux qu’il aille dans un autre cent… »
Le moniteur a coupé le son. Il se tourne vers vous et vous dit
d’une voix très douce :
« Sortez, Madame, s’il vous plait. »
Ce cri-là est un cri d’amusement
Anéantie, vous obéissez. Vous êtes si écrasée qu’aucune pensée
cohérente ne fait surface. Vous vous adossez au mur de vieilles
pierres, au soleil. Dans le lointain, vous entendez votre enfant
crier. Mais depuis le temps, vous avez compris que ce cri-là est
un cri de joie et d’amusement. Votre tête est vide. Vous attendez
le retour du moniteur. Sachant ce qu’il va dire…
Il sort enfin, se roule une clope et l’allume avant de dire :
« C’est con… »
Glacée, vous ne parvenez pas à répondre.
Il ajoute en tirant sur sa clope :
« Va falloir que je remonte un autre groupe autour de votre
gremlin, je viens de virer cinq graines de salopards. »
Modifications : 02/03/2014 : Ajouts de liens.