Les filles mieux armées face à l'autisme
Par figaro Stéphany Gardier - le 27/02/2014
Le cerveau féminin serait plus résistant que celui des hommes pour contrer les mutations génétiques.
Retard mental, épilepsie, hyperactivité ou autisme: ces troubles du développement cérébral ont en commun de toucher plus de garçons que de filles. Cette différence (le sex-ratio) peut être très élevée, comme pour l'autisme à haut potentiel. Dans ce cas-là, les garçons sont diagnostiqués six fois plus que les filles.
Décrite depuis très longtemps, cette différence n'a pour l'heure pas trouvé d'explication, bien que plusieurs hypothèses aient été avancées. Une analyse génétique menée sur deux grandes populations de patients atteints de troubles neurodéveloppementaux, et publiée jeudi dans la revue American Journal of Human Genetics , montre que les filles présentent beaucoup plus d'atteintes génétiques que les garçons. Et pourtant, la répercussion dans leur comportement est moins importante. Ces résultats suggèrent donc que le cerveau des filles serait plus résilient (capacité de réagir ) que celui des garçons. «Des différences du nombre de mutations génétiques entre hommes et femmes atteints de troubles du développement cérébral avaient déjà été observées, nous avons cherché à les confirmer sur un grand nombre d'individus», explique Sébastien Jacquemont, médecin et professeur assistant à l'université de Lausanne, auteur de l'étude.
Les chercheurs suisses en collaboration avec des collègues américains ont analysé les génomes de plus de 15.000 patients présentant différents types d'atteintes neurodéveloppementales. Ils ont aussi analysé le patrimoine génétique d'enfants autistes, inclus dans la cohorte Simons Simplex Collection (SSC). «Cette population de patients est unique au monde car elle rassemble des données biomédicales sur les parents et la fratrie de familles dans lesquelles un seul enfant est atteint d'autisme», précise Sébastien Jacquemont.
Un peu plus de 1300 gènes étudiés
Les scientifiques ont recherché certaines variations génétiques, appelées CNV et SNV. Ils ont choisi les plus rares, celles qui touchent de larges zones de l'ADN, et en particulier des gènes importants pour le développement cérébral. Au total, un peu plus de 1300 gènes ont été étudiés. Les résultats montrent qu'il y a significativement plus de CNV et de SNV dans l'ADN des filles que dans celui des garçons. «Cela suggère qu'à nombre d'atteintes génétiques égal, les filles s'en sortiraient mieux que les garçons, résume Sébastien Jacquemont. Leur cerveau serait en quelque sorte mieux armé pour faire face et “compenser” certaines mutations.»
L'étude de la cohorte SSC a aussi montré que ces variations génétiques sont plus présentes chez les mères d'enfants autistes. «Si les femmes les tolèrent mieux, on peut supposer que cela ne les empêche pas de devenir mère, alors que les hommes sont trop atteints pour pouvoir fonder une famille», suggère Sébastien Jacquemont. Le scientifique souligne cependant la nécessité d'analyses complémentaires pour confirmer l'héritabilité de ces mutations.
«Ces résultats ne sont pas une preuve irréfutable d'une meilleure résistance du cerveau féminin, mais ils corroborent des hypothèses qui existent depuis déjà un certain temps», commente Catalina Betancur, directrice de recherche Inserm de l'équipe Génétique de l'autisme.
Des conclusions également cohérentes avec la théorie du spécialiste de l'autisme Simon Baron-Cohen, selon laquelle les filles étant naturellement plus aptes à la communication et à la sociabilité, une altération de leurs fonctions cognitives aurait moins de conséquences sur leur comportement que chez les garçons. Ceci pourrait expliquer, en partie, que l'on adresse moins de petites filles en consultation que de garçons.
«Rien n'est sûr, mais ce biais de sex-ratio est probablement le résultat d'interactions entre différents paramètres, biologiques, génétiques ou encore sociologiques, conclut Catalina Betancur. Si les résultats de l'étude lausannoise sont confirmés dans d'autres cohortes, ils pourraient expliquer au moins une partie de cette différence.»