Le numéro 1 (2009) de la revue Enfance, édition Necplus, est entièrement consacré aux contributions des 6e journées du réseau Autisme-science, "Le diagnostic d'autisme : quoi de neuf ?", qui a eu lieu les 9 et 10 Octobre 2008 à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
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Henri Wallon et Hélène Gratiot-Alphandery ont fondé Enfance en 1948. La revue est ouverte à des auteurs d’horizons multiples, francophones ou non, et traite des dimensions sensorielle, motrice, cognitive, émotionnelle, sociale et langagière des sciences du développement : développement normal, mais aussi sa comparaison avec le développement dans le cas de troubles psychopathologiques ou de handicaps. Son approche prend en compte les apports de la psychopathologie et de la neuropsychologie développementales, de la robotique épigénétique et des sciences de l’éducation.
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Directrice : Jacqueline Nadel, France
Comité de Rédaction : A. Bullinger, M. de Brunhoff, M. Deleau, D. Mellier, A.-M. Melot , B. Piérart (corresp. pour la Belgique), D. Poulin-Dubois (corresp. pour le Canada), R. Pry, R. Soussigna, P. Zesiger (corresp. pour la Suisse)
[Revue] Enfance - Le diagnostic d'autisme : quoi de neuf ?
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résumés
Introduction : Autour du diagnostic d’autisme
Jacqueline Nadel
Si l’on n’a pas encore de démonstration valide concernant l’impact d’une intervention précoce comparée à une intervention plus tardive, le consensus se fait sur la plus grande facilité des enfants les plus jeunes à participer à des programmes d’intervention : la recommandation est donc de débuter les interventions le plus tôt possible. Le revers de cette option est qu’elle suppose un pronostic solide, de façon à ne pas alarmer à tort les familles et à ne pas les entraîner vers de fausses pistes d’éducation et de vie.
Au cours des 15 dernières années, de nombreuses recherches ont montré qu’il est possible d’identifier précocement dans la population générale certains cas de troubles du spectre autistique (ASD : Autistic Spectrum Disorder). Mais les limites des outils proposés restent importantes. Ces limites sont pour la plupart inhérentes à deux caractéristiques du développement précoce : il est rapide, et il emprunte des routes différentes selon les enfants. De ce fait, il est crucial de distinguer deux types d’objectifs et deux types d’outils de pronostic précoce qui leur sont liés : différencier dans une population de jeunes enfants présentant des troubles du développement ceux qui sont à haut risque d’autisme (dans cet objectif, les outils doivent avant tout avoir une forte sensibilité et spécificité), ou dépister précocement de jeunes enfants à risque d’autisme dans la population générale (dans cet objectif, les outils doivent avoir une haute valeur prédictive). Cette distinction n’obère pas une difficulté commune aux deux objectifs : le développement n’est ni unidimensionnel ni linéaire, son décours ne se déduit pas des états antérieurs, il est la résultante de la coaction de facteurs génétiques, de facteurs de dynamique cérébrale et de facteurs d’expériences de vie.
C’est pourquoi, à côté de présentations et de discussions portant sur l’apport actuel des outils diagnostiques et pronostiques, ce numéro inclut les contributions de la génétique, de la neuroimagerie, de la neurophysiologie, de la psychopathologie développementale, de la psychologie développementale et de la clinique, tant nous sommes tous persuadés de l’importance cruciale d’une option interdisciplinaire pour débrouiller l’écheveau des facteurs en jeu et pour faire converger un faisceau d’alertes à différents niveaux d’information scientifique.
Cet ensemble très complet de contributions est le résultat de deux jours de colloque organisés sous l’égide du RISC (CNRS) par le réseau interdisciplinaire Autisme-Science. Le colloque a reçu l’encouragement et le soutien financier de la Fondation de France (secteur Autisme). Ce soutien nous a permis non seulement de réunir les spécialistes français du domaine, mais également d’inviter Sally Rogers et Tony Charman, deux grands chercheurs internationalement reconnus, qui nous ont fait l’amitié de leur présence active au colloque et de leur participation inestimable au numéro.
Dépistage des troubles du spectre autistique : les leçons de la recherche et de la pratique clinique
Tony Charman
On a tenté de pronostiquer les troubles du spectre autistique (TSA) en utilisant des instruments de dépistage. Mais si l’on a pu ainsi dépister des cas restés insoupçonnés, aucun instrument ne s’est montré assez robuste pour devenir un outil universel de dépistage. Malgré tout, les outils de dépistage peuvent améliorer le contrôle des TSA et des autres troubles développementaux. D’importantes différences entre le développement d’instruments de dépistage dans les recherches et leur utilisation en tant que routine de contrôle clinique demeurent. Dépister un trouble développemental entraîne des conséquences cliniques pour les parents et les professionnels, liées au statut du « risque », à la fiabilité du diagnostic, aux prescriptions, et aux services disponibles. L’un des résultats positifs des recherches sur le dépistage sera une meilleure connaissance et une formation des praticiens concernant les signes précoces des TSA, dont on peut espérer qu’elles conduiront à améliorer les prises de décision adéquates. Il serait utile dans le futur de pouvoir mieux différencier les troubles autistiques des troubles du développement général et du langage, et de mettre au point des instruments de recherche qui permettent de tester les bénéfices spécifiques d’une intervention précoce.
A propos du dépistage précoce - Bruno Falissard
Le dépistage précoce de l’autisme : Quelle faisabilité ?
B. Rogé , H. Chabrol , I. Unsaldi
La question du dépistage précoce de l’autisme et des autres désordres du spectre de l’autisme est d’actualité. Les enjeux sont effectivement importants dans la mesure où la détection précoce permet l’intervention immédiate avec un impact positif sur le pronostic. Une étude de validation sur population française du questionnaire M-CHAT destiné aux parents a été entreprise sur les enfants tout venant présentés à la consultation médicale obligatoire des vingt-quatre mois en région Midi-Pyrénées. Le dispositif de recherche est présenté, ainsi que les résultats préliminaires. À partir de cette expérience et des obstacles rencontrés, la question de la faisabilité du dépistage systématique est posée.
Que nous apprennent les petits frères et sœurs sur les signes précoces d’autisme ?
Sally J. Rogers
L’objectif de cette revue est de présenter une synthèse des réponses que l’on peut actuellement apporter à la question de savoir quelles sont les premières caractéristiques comportementales qui prédisent le développement de l’autisme. L’article se centre sur 5 points : la présence de Troubles du Spectre Autistique (TSA) dans des groupes de frères et sœurs puînés d’enfants déjà diagnostiqués, les patterns et caractéristiques du développement moteur, les patterns et caractéristiques du développement social et émotionnel, les patterns et caractéristiques de la communication intentionnelle verbale et non verbale, et les patterns qui marquent le début de comportements pathognomoniques de TSA. La discussion porte sur les aspects inattendus des résultats et les pistes de recherche nouvelles qu’ils peuvent engendrer.
Est-il possible de dépister l’autisme au cours de la première année ?
Pr. C. Bursztejn
La connaissance de la clinique précoce de l’autisme a fait d’importants progrès au cours de ces 10 dernières années, grâce notamment aux recherches sur les vidéos familiales et plus récemment au suivi de bébés à « haut risque d’autisme » (frères et sœurs puînés d’enfants présentant des troubles autistiques). Ces travaux ont montré que c’est surtout au cours de la deuxième année que les symptômes caractéristiques du syndrome autistique commencent à se manifester. Cependant, au moins dans une partie des cas, des anomalies discrètes ont été signalées dès la première année. Cet article rapporte les données de ces recherches qui montrent que certains indices (absence ou rareté du sourire social, du contact par le regard, de l’orientation à l’appel du prénom) peuvent faire prévoir dès l’age de douze mois, un diagnostic ultérieur d’autisme ou de « trouble du spectre autistique ».
Stabilité et changement dans l’évolution des TED : perspective vie entière
René Pry - Céline Darrou
L’examen de la littérature sur les TED amène à repérer un certain nombre de stabilités et de changements dans leurs évolutions, et ceci dans une perspective vie entière : relative stabilité du diagnostic et relative instabilité de la symptomatologie, diversité des transformations adaptatives et cognitives - un tableau complexe qui interroge aussi les aspects de recueil de données et de méthodologie. La question des facteurs de protection et/ou d’aggravation mérite également d’être abordée. Le nombre de candidats éligibles est faible et les données actuelles sont peu concluantes.
Le point de vue d’un praticien - Jacques Constant
En France, les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique (TSA) sont accompagnées dans le cadre d’une politique publique qui a créé des Centres de Ressource Autisme (CRA) permettant le diagnostic et l’orientation des parents vers les ressources médicales et éducatives. Dans la rencontre entre personnes autistes et professionnels, on peut se demander qui est le plus handicapé. Les personnes avec Troubles du Spectre Autistique sans déficit intellectuel peuvent aider à la compréhension du fonctionnement autistique. Une expérience d’accompagnement d’une cinquantaine de jeunes autistes de quatorze à vingt-quatre ans depuis 10 ans nous mène à constater que les méthodes intégratives que nous employons nécessitent une étroite collaboration avec la famille. Le degré d’autisme et le niveau de développement de chacun, évalués selon les tests habituels, permettent d’approcher un ajustement sur mesure de l’accompagnement et une évaluation de l’efficacité des techniques de compensation. Néanmoins les outils de classification et d’évaluation restent insuffisants pour accompagner pleinement ces personnes en s’appuyant sur leurs ressources, en compensant leurs déficiences et en adaptant continuellement l’environnement familial, professionnel et matériel, à leur façon d’être au monde.
Les compléments neurophysiologiques du diagnostic
C. Barthélémy, M. Huc-Chabrolles, G. Tripi, M. Gomot, J. Martineau and F. Bonnet-Brilhault
Les recherches présentées mettent en évidence des relations entre anomalies comportementales et cognitives et dysfonctionnements cérébraux sous-jacents à partir de méthodes d’exploration électrophysiologique non invasives (électroencéphalogramme, potentiels évoqués auditifs). Trois types de troubles sont étudiés : les troubles du sommeil, l’intolérance au changement et l’exploration visuelle atypique des visages humains. La complémentarité des approches cliniques et neurophysiologiques est cruciale aux étapes du diagnostic fonctionnel, de l’intervention thérapeutique et éducative.
Autisme, la piste génétique se confirme
Thomas Bourgeron, Marion Leboyer and Richard Delorme
Coup sur coup, plusieurs études ont identifié des mutations génétiques en cause dans l’autisme. Les gènes impliqués jouent un rôle dans le fonctionnement des synapses. En accordant sa part à l’inné, cette découverte lève un pan du voile qui entoure ce syndrome très complexe.
Imagerie anatomique dans l’autisme non syndromique : Étude rétrospective sur 140 IRM
N. Boddaert, N. Chabane, I. Meresse, A. Phillipe, L. Robel, M. Bourgeois, M-C. Mouren, C. Barthelemy, L. Laurier, A. Munnich, F. Brunelle and M. Zilbovicius .
Actuellement, il n’existe aucun consensus sur la nécessité de réaliser une IRM dans l’autisme. Cet article résume les résultats d’une étude IRM sur 140 enfants et adolescents autistes non syndromiques et sans autres maladies. Deux neuro-radiologues ont visualisé indépendamment les IRMs. Quarante % des IRM étaient anormales (N = 56) : anomalies temporales : (N = 33) ; anomalies de la substance blanche : (N = 38) ; espaces de Wirshow-Robin dilatés (N = 16). Chez 34/56 patients, nous avons trouvé une association d’au moins 2 types d’anomalies. Ces résultats montrent la forte fréquence des anomalies IRM dans un grand groupe de patients considérés comme ayant un autisme non-syndromique.
Où est le développement dans le syndrome développemental d’autisme ?
Jacqueline Nadel
L’article propose une analyse des difficultés auxquelles se confronte la recherche de marqueurs précoces d’un trouble développemental. Parmi ces difficultés, les plus sérieuses concernent la possible origine commune de comportements s’appliquant à des domaines sociaux et non sociaux, le changement de fonction des comportements au cours du temps, les différents supports comportementaux d’une même fonction. Ces difficultés appellent une conception du développement en terme d’un modèle épigénétique probabiliste à trois facteurs en co-action continue : les facteurs génétiques, la dynamique neurale et les facteurs expérientiels.
Construction des représentations de l’action chez l’enfant : quelles atteintes dans l’autisme ?
Christine Assaiante and Christina Schmitz (2009)
Un aspect majeur de l’autisme réside dans l’altération des capacités de communication. Or, une des fonctions essentielles de la motricité est, précisément, de permettre le dialogue entre l’organisme et son environnement, notamment au travers des entrées sensorielles, et ce dès le plus jeune âge. C’est dans le cadre de l’hypothèse d’une atteinte générale de la construction des représentations de l’action dans l’autisme que nous rapportons un ensemble de résultats visant à étudier chez l’enfant le développement de la fonction d’anticipation qui permet de rendre le monde prédictible et cohérent. Pour anticiper, le cerveau s’appuie sur des représentations des caractéristiques du corps, du monde extérieur et de leurs interactions réciproques. Les représentations de l’action ne sont pas innées et nécessitent un temps de maturation assez long au cours de l’enfance. À partir de tâches de soulèvement alliant paramètres moteurs et corrélats corticaux, on constate chez l’enfant avec autisme un déficit de la fonction d’anticipation, d’origine centrale, qui indiquerait une atteinte de la construction des représentations de l’action. Sachant que le couplage entre la perception et l’action dépend fortement de la construction de multiples représentations (incluant le schéma corporel, la représentation de la faisabilité du mouvement et la représentation de l’action dans sa globalité), nous faisons l’hypothèse qu’une atteinte de la construction des représentations perturbe ce couplage et en conséquent freine le développement sensori-moteur et cognitif dans l’autisme.
Place de la structuration de l’image du corps et grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile
Geneviève Haag
La grille présentée s’ordonne autour des grandes étapes de la formation du moi corporel que les enfants autistes nous ont aidés à mieux repérer. La construction de l’espace et les capacités d’instrumentation cognitive se placent très logiquement dans cette structuration. Quatre grandes étapes sont définies au-delà d’une première qui est l’état autistique sévère ; la seconde est celle de la restauration de la « peau » (sentiment d’entourance circulaire ou sphérique) ; la troisième est la réduction du clivage vertical, la quatrième celle du clivage horizontal de l’image du corps ; enfin, la cinquième est la phase d’individuation/séparation en corps total. A chaque étape sont repérés : l’état de l’image du corps, les symptômes autistiques, les manifestations émotionnelles dans la relation, l’état du regard, l’exploration de l’espace et des objets, l’état du langage, l’état du graphisme, le repérage temporel et les conduites agressives.
Prise en compte des difficultés de traitement des informations visuelles et auditives rapides dans le cadre de l’évaluation diagnostique de l’autisme
F. Lainé, S. Rauzy, B. Gepner and C. Tardif (2009)
Depuis ces dernières décennies, le diagnostic de l’autisme ne cesse d’être amélioré, prenant en compte la présence possible de stéréotypies, les compétences motrices, cognitives et surtout sociales chez l’enfant évalué. D’autre part, de nombreuses recherches montrent qu’il existe aussi des troubles sensoriels et perceptifs dans l’autisme qui pourraient être présents très tôt dans le développement de l’enfant et devraient donc être adjoints aux items de dépistage précoce. Les recherches de notre équipe montrent que certains enfants autistes présentent des troubles perceptifs de la vision des mouvements biologiques (expressions faciales, mouvements du corps, mouvement des mains…) et de la perception des sons de la parole (voyelles, mots, phrases). Cette difficulté proviendrait notamment de la vitesse trop rapide des informations visuelles et auditives dans la vie de tous les jours puisque certains enfants autistes (notamment les plus atteints d’entre eux) bénéficient d’une présentation ralentie de ces informations au sens où ils les reconnaissent, comprennent et imitent mieux. Ce bénéfice n’est pas retrouvé chez des enfants témoins au développement typique ou retardé. La question est maintenant de savoir si ces particularités perceptives peuvent être décelées plus tôt au cours du développement et, dans ce cas, si elles pourraient servir de marqueur diagnostique ou d’aide au dépistage de l’autisme, et permettre de discriminer voire prédire l’intensité de la symptomatologie autistique. Si tel était le cas, une intervention précoce basée sur le ralentissement des stimuli visuels et auditifs devrait être envisagée et tentée auprès de jeunes enfants à risque autistique.
La négociation dans les interactions conflictuelles : Une contribution à l’évaluation différentielle d’enfants autistiques de « haut niveau »
Edy Veneziano- Marie Hélène Plumet
Le diagnostic et l’évaluation des troubles des enfants autistes présentant un retard intellectuel modéré et un développement du langage relativement préservé posent des difficultés particulières. L’évaluation de leurs connaissances langagières et sociales en contextes expérimentaux ne permet pas de capter de manière spécifique la dimension pragmatique de leur comportement communicatif.
Le but de cette étude est de développer une méthode d’évaluation précise de l’utilisation socialement fonctionnelle que font ces enfants de leurs comportements verbaux et non verbaux lorsqu’ils sont engagés dans des épisodes d’opposition spontanée au sein des interactions quotidiennes. Sont évaluées les habiletés de l’enfant à 1. fournir des justifications ; 2. prendre en considération les justifications produites par ses interlocuteurs ; et 3. adapter son comportement aux interventions successives de son interlocuteur.
Les résultats obtenus sur 15 enfants (6 enfants autistes et 9 enfants au développement typique appariés sur l’âge verbal ou plus jeunes) montrent l’existence de différences mais aussi de ressemblances entre le fonctionnement pragmatique des enfants autistes et celui des enfants typiques. L’analyse d’un échantillon relativement réduit d’interactions naturelles permet de mettre en évidence des domaines de fonctionnement et dysfonctionnement, et d’établir, pour chaque dyade, une évaluation différenciée de leurs interactions communicatives dans la vie quotidienne.
Jacqueline Nadel
Si l’on n’a pas encore de démonstration valide concernant l’impact d’une intervention précoce comparée à une intervention plus tardive, le consensus se fait sur la plus grande facilité des enfants les plus jeunes à participer à des programmes d’intervention : la recommandation est donc de débuter les interventions le plus tôt possible. Le revers de cette option est qu’elle suppose un pronostic solide, de façon à ne pas alarmer à tort les familles et à ne pas les entraîner vers de fausses pistes d’éducation et de vie.
Au cours des 15 dernières années, de nombreuses recherches ont montré qu’il est possible d’identifier précocement dans la population générale certains cas de troubles du spectre autistique (ASD : Autistic Spectrum Disorder). Mais les limites des outils proposés restent importantes. Ces limites sont pour la plupart inhérentes à deux caractéristiques du développement précoce : il est rapide, et il emprunte des routes différentes selon les enfants. De ce fait, il est crucial de distinguer deux types d’objectifs et deux types d’outils de pronostic précoce qui leur sont liés : différencier dans une population de jeunes enfants présentant des troubles du développement ceux qui sont à haut risque d’autisme (dans cet objectif, les outils doivent avant tout avoir une forte sensibilité et spécificité), ou dépister précocement de jeunes enfants à risque d’autisme dans la population générale (dans cet objectif, les outils doivent avoir une haute valeur prédictive). Cette distinction n’obère pas une difficulté commune aux deux objectifs : le développement n’est ni unidimensionnel ni linéaire, son décours ne se déduit pas des états antérieurs, il est la résultante de la coaction de facteurs génétiques, de facteurs de dynamique cérébrale et de facteurs d’expériences de vie.
C’est pourquoi, à côté de présentations et de discussions portant sur l’apport actuel des outils diagnostiques et pronostiques, ce numéro inclut les contributions de la génétique, de la neuroimagerie, de la neurophysiologie, de la psychopathologie développementale, de la psychologie développementale et de la clinique, tant nous sommes tous persuadés de l’importance cruciale d’une option interdisciplinaire pour débrouiller l’écheveau des facteurs en jeu et pour faire converger un faisceau d’alertes à différents niveaux d’information scientifique.
Cet ensemble très complet de contributions est le résultat de deux jours de colloque organisés sous l’égide du RISC (CNRS) par le réseau interdisciplinaire Autisme-Science. Le colloque a reçu l’encouragement et le soutien financier de la Fondation de France (secteur Autisme). Ce soutien nous a permis non seulement de réunir les spécialistes français du domaine, mais également d’inviter Sally Rogers et Tony Charman, deux grands chercheurs internationalement reconnus, qui nous ont fait l’amitié de leur présence active au colloque et de leur participation inestimable au numéro.
Dépistage des troubles du spectre autistique : les leçons de la recherche et de la pratique clinique
Tony Charman
On a tenté de pronostiquer les troubles du spectre autistique (TSA) en utilisant des instruments de dépistage. Mais si l’on a pu ainsi dépister des cas restés insoupçonnés, aucun instrument ne s’est montré assez robuste pour devenir un outil universel de dépistage. Malgré tout, les outils de dépistage peuvent améliorer le contrôle des TSA et des autres troubles développementaux. D’importantes différences entre le développement d’instruments de dépistage dans les recherches et leur utilisation en tant que routine de contrôle clinique demeurent. Dépister un trouble développemental entraîne des conséquences cliniques pour les parents et les professionnels, liées au statut du « risque », à la fiabilité du diagnostic, aux prescriptions, et aux services disponibles. L’un des résultats positifs des recherches sur le dépistage sera une meilleure connaissance et une formation des praticiens concernant les signes précoces des TSA, dont on peut espérer qu’elles conduiront à améliorer les prises de décision adéquates. Il serait utile dans le futur de pouvoir mieux différencier les troubles autistiques des troubles du développement général et du langage, et de mettre au point des instruments de recherche qui permettent de tester les bénéfices spécifiques d’une intervention précoce.
A propos du dépistage précoce - Bruno Falissard
Le dépistage précoce de l’autisme : Quelle faisabilité ?
B. Rogé , H. Chabrol , I. Unsaldi
La question du dépistage précoce de l’autisme et des autres désordres du spectre de l’autisme est d’actualité. Les enjeux sont effectivement importants dans la mesure où la détection précoce permet l’intervention immédiate avec un impact positif sur le pronostic. Une étude de validation sur population française du questionnaire M-CHAT destiné aux parents a été entreprise sur les enfants tout venant présentés à la consultation médicale obligatoire des vingt-quatre mois en région Midi-Pyrénées. Le dispositif de recherche est présenté, ainsi que les résultats préliminaires. À partir de cette expérience et des obstacles rencontrés, la question de la faisabilité du dépistage systématique est posée.
Que nous apprennent les petits frères et sœurs sur les signes précoces d’autisme ?
Sally J. Rogers
L’objectif de cette revue est de présenter une synthèse des réponses que l’on peut actuellement apporter à la question de savoir quelles sont les premières caractéristiques comportementales qui prédisent le développement de l’autisme. L’article se centre sur 5 points : la présence de Troubles du Spectre Autistique (TSA) dans des groupes de frères et sœurs puînés d’enfants déjà diagnostiqués, les patterns et caractéristiques du développement moteur, les patterns et caractéristiques du développement social et émotionnel, les patterns et caractéristiques de la communication intentionnelle verbale et non verbale, et les patterns qui marquent le début de comportements pathognomoniques de TSA. La discussion porte sur les aspects inattendus des résultats et les pistes de recherche nouvelles qu’ils peuvent engendrer.
Est-il possible de dépister l’autisme au cours de la première année ?
Pr. C. Bursztejn
La connaissance de la clinique précoce de l’autisme a fait d’importants progrès au cours de ces 10 dernières années, grâce notamment aux recherches sur les vidéos familiales et plus récemment au suivi de bébés à « haut risque d’autisme » (frères et sœurs puînés d’enfants présentant des troubles autistiques). Ces travaux ont montré que c’est surtout au cours de la deuxième année que les symptômes caractéristiques du syndrome autistique commencent à se manifester. Cependant, au moins dans une partie des cas, des anomalies discrètes ont été signalées dès la première année. Cet article rapporte les données de ces recherches qui montrent que certains indices (absence ou rareté du sourire social, du contact par le regard, de l’orientation à l’appel du prénom) peuvent faire prévoir dès l’age de douze mois, un diagnostic ultérieur d’autisme ou de « trouble du spectre autistique ».
Stabilité et changement dans l’évolution des TED : perspective vie entière
René Pry - Céline Darrou
L’examen de la littérature sur les TED amène à repérer un certain nombre de stabilités et de changements dans leurs évolutions, et ceci dans une perspective vie entière : relative stabilité du diagnostic et relative instabilité de la symptomatologie, diversité des transformations adaptatives et cognitives - un tableau complexe qui interroge aussi les aspects de recueil de données et de méthodologie. La question des facteurs de protection et/ou d’aggravation mérite également d’être abordée. Le nombre de candidats éligibles est faible et les données actuelles sont peu concluantes.
Le point de vue d’un praticien - Jacques Constant
En France, les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique (TSA) sont accompagnées dans le cadre d’une politique publique qui a créé des Centres de Ressource Autisme (CRA) permettant le diagnostic et l’orientation des parents vers les ressources médicales et éducatives. Dans la rencontre entre personnes autistes et professionnels, on peut se demander qui est le plus handicapé. Les personnes avec Troubles du Spectre Autistique sans déficit intellectuel peuvent aider à la compréhension du fonctionnement autistique. Une expérience d’accompagnement d’une cinquantaine de jeunes autistes de quatorze à vingt-quatre ans depuis 10 ans nous mène à constater que les méthodes intégratives que nous employons nécessitent une étroite collaboration avec la famille. Le degré d’autisme et le niveau de développement de chacun, évalués selon les tests habituels, permettent d’approcher un ajustement sur mesure de l’accompagnement et une évaluation de l’efficacité des techniques de compensation. Néanmoins les outils de classification et d’évaluation restent insuffisants pour accompagner pleinement ces personnes en s’appuyant sur leurs ressources, en compensant leurs déficiences et en adaptant continuellement l’environnement familial, professionnel et matériel, à leur façon d’être au monde.
Les compléments neurophysiologiques du diagnostic
C. Barthélémy, M. Huc-Chabrolles, G. Tripi, M. Gomot, J. Martineau and F. Bonnet-Brilhault
Les recherches présentées mettent en évidence des relations entre anomalies comportementales et cognitives et dysfonctionnements cérébraux sous-jacents à partir de méthodes d’exploration électrophysiologique non invasives (électroencéphalogramme, potentiels évoqués auditifs). Trois types de troubles sont étudiés : les troubles du sommeil, l’intolérance au changement et l’exploration visuelle atypique des visages humains. La complémentarité des approches cliniques et neurophysiologiques est cruciale aux étapes du diagnostic fonctionnel, de l’intervention thérapeutique et éducative.
Autisme, la piste génétique se confirme
Thomas Bourgeron, Marion Leboyer and Richard Delorme
Coup sur coup, plusieurs études ont identifié des mutations génétiques en cause dans l’autisme. Les gènes impliqués jouent un rôle dans le fonctionnement des synapses. En accordant sa part à l’inné, cette découverte lève un pan du voile qui entoure ce syndrome très complexe.
Imagerie anatomique dans l’autisme non syndromique : Étude rétrospective sur 140 IRM
N. Boddaert, N. Chabane, I. Meresse, A. Phillipe, L. Robel, M. Bourgeois, M-C. Mouren, C. Barthelemy, L. Laurier, A. Munnich, F. Brunelle and M. Zilbovicius .
Actuellement, il n’existe aucun consensus sur la nécessité de réaliser une IRM dans l’autisme. Cet article résume les résultats d’une étude IRM sur 140 enfants et adolescents autistes non syndromiques et sans autres maladies. Deux neuro-radiologues ont visualisé indépendamment les IRMs. Quarante % des IRM étaient anormales (N = 56) : anomalies temporales : (N = 33) ; anomalies de la substance blanche : (N = 38) ; espaces de Wirshow-Robin dilatés (N = 16). Chez 34/56 patients, nous avons trouvé une association d’au moins 2 types d’anomalies. Ces résultats montrent la forte fréquence des anomalies IRM dans un grand groupe de patients considérés comme ayant un autisme non-syndromique.
Où est le développement dans le syndrome développemental d’autisme ?
Jacqueline Nadel
L’article propose une analyse des difficultés auxquelles se confronte la recherche de marqueurs précoces d’un trouble développemental. Parmi ces difficultés, les plus sérieuses concernent la possible origine commune de comportements s’appliquant à des domaines sociaux et non sociaux, le changement de fonction des comportements au cours du temps, les différents supports comportementaux d’une même fonction. Ces difficultés appellent une conception du développement en terme d’un modèle épigénétique probabiliste à trois facteurs en co-action continue : les facteurs génétiques, la dynamique neurale et les facteurs expérientiels.
Construction des représentations de l’action chez l’enfant : quelles atteintes dans l’autisme ?
Christine Assaiante and Christina Schmitz (2009)
Un aspect majeur de l’autisme réside dans l’altération des capacités de communication. Or, une des fonctions essentielles de la motricité est, précisément, de permettre le dialogue entre l’organisme et son environnement, notamment au travers des entrées sensorielles, et ce dès le plus jeune âge. C’est dans le cadre de l’hypothèse d’une atteinte générale de la construction des représentations de l’action dans l’autisme que nous rapportons un ensemble de résultats visant à étudier chez l’enfant le développement de la fonction d’anticipation qui permet de rendre le monde prédictible et cohérent. Pour anticiper, le cerveau s’appuie sur des représentations des caractéristiques du corps, du monde extérieur et de leurs interactions réciproques. Les représentations de l’action ne sont pas innées et nécessitent un temps de maturation assez long au cours de l’enfance. À partir de tâches de soulèvement alliant paramètres moteurs et corrélats corticaux, on constate chez l’enfant avec autisme un déficit de la fonction d’anticipation, d’origine centrale, qui indiquerait une atteinte de la construction des représentations de l’action. Sachant que le couplage entre la perception et l’action dépend fortement de la construction de multiples représentations (incluant le schéma corporel, la représentation de la faisabilité du mouvement et la représentation de l’action dans sa globalité), nous faisons l’hypothèse qu’une atteinte de la construction des représentations perturbe ce couplage et en conséquent freine le développement sensori-moteur et cognitif dans l’autisme.
Place de la structuration de l’image du corps et grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile
Geneviève Haag
La grille présentée s’ordonne autour des grandes étapes de la formation du moi corporel que les enfants autistes nous ont aidés à mieux repérer. La construction de l’espace et les capacités d’instrumentation cognitive se placent très logiquement dans cette structuration. Quatre grandes étapes sont définies au-delà d’une première qui est l’état autistique sévère ; la seconde est celle de la restauration de la « peau » (sentiment d’entourance circulaire ou sphérique) ; la troisième est la réduction du clivage vertical, la quatrième celle du clivage horizontal de l’image du corps ; enfin, la cinquième est la phase d’individuation/séparation en corps total. A chaque étape sont repérés : l’état de l’image du corps, les symptômes autistiques, les manifestations émotionnelles dans la relation, l’état du regard, l’exploration de l’espace et des objets, l’état du langage, l’état du graphisme, le repérage temporel et les conduites agressives.
Prise en compte des difficultés de traitement des informations visuelles et auditives rapides dans le cadre de l’évaluation diagnostique de l’autisme
F. Lainé, S. Rauzy, B. Gepner and C. Tardif (2009)
Depuis ces dernières décennies, le diagnostic de l’autisme ne cesse d’être amélioré, prenant en compte la présence possible de stéréotypies, les compétences motrices, cognitives et surtout sociales chez l’enfant évalué. D’autre part, de nombreuses recherches montrent qu’il existe aussi des troubles sensoriels et perceptifs dans l’autisme qui pourraient être présents très tôt dans le développement de l’enfant et devraient donc être adjoints aux items de dépistage précoce. Les recherches de notre équipe montrent que certains enfants autistes présentent des troubles perceptifs de la vision des mouvements biologiques (expressions faciales, mouvements du corps, mouvement des mains…) et de la perception des sons de la parole (voyelles, mots, phrases). Cette difficulté proviendrait notamment de la vitesse trop rapide des informations visuelles et auditives dans la vie de tous les jours puisque certains enfants autistes (notamment les plus atteints d’entre eux) bénéficient d’une présentation ralentie de ces informations au sens où ils les reconnaissent, comprennent et imitent mieux. Ce bénéfice n’est pas retrouvé chez des enfants témoins au développement typique ou retardé. La question est maintenant de savoir si ces particularités perceptives peuvent être décelées plus tôt au cours du développement et, dans ce cas, si elles pourraient servir de marqueur diagnostique ou d’aide au dépistage de l’autisme, et permettre de discriminer voire prédire l’intensité de la symptomatologie autistique. Si tel était le cas, une intervention précoce basée sur le ralentissement des stimuli visuels et auditifs devrait être envisagée et tentée auprès de jeunes enfants à risque autistique.
La négociation dans les interactions conflictuelles : Une contribution à l’évaluation différentielle d’enfants autistiques de « haut niveau »
Edy Veneziano- Marie Hélène Plumet
Le diagnostic et l’évaluation des troubles des enfants autistes présentant un retard intellectuel modéré et un développement du langage relativement préservé posent des difficultés particulières. L’évaluation de leurs connaissances langagières et sociales en contextes expérimentaux ne permet pas de capter de manière spécifique la dimension pragmatique de leur comportement communicatif.
Le but de cette étude est de développer une méthode d’évaluation précise de l’utilisation socialement fonctionnelle que font ces enfants de leurs comportements verbaux et non verbaux lorsqu’ils sont engagés dans des épisodes d’opposition spontanée au sein des interactions quotidiennes. Sont évaluées les habiletés de l’enfant à 1. fournir des justifications ; 2. prendre en considération les justifications produites par ses interlocuteurs ; et 3. adapter son comportement aux interventions successives de son interlocuteur.
Les résultats obtenus sur 15 enfants (6 enfants autistes et 9 enfants au développement typique appariés sur l’âge verbal ou plus jeunes) montrent l’existence de différences mais aussi de ressemblances entre le fonctionnement pragmatique des enfants autistes et celui des enfants typiques. L’analyse d’un échantillon relativement réduit d’interactions naturelles permet de mettre en évidence des domaines de fonctionnement et dysfonctionnement, et d’établir, pour chaque dyade, une évaluation différenciée de leurs interactions communicatives dans la vie quotidienne.