Parce que nombre de ses écrits me parlent beaucoup, souvent, voici quelques citations de Pessoa.
N'hésitez pas à commenter.
Je suis frustrée car j'ai voulu, en signature, mettre quelques unes de ces citations mais elle est limitée à un nombre restreint de caractère, tant pis.
Il importe aussi de cultiver notre habileté à éviter les intrusions de la vie ; un soin doit nous cuirasser contre notre sensibilité à l'opinion d'autrui, et une molle indifférence nous matelasser l'âme contre les coups bas de la coexistence avec les autres.
Soudain, je fus pris d’un désir intense de renoncement absolu, de claustration ferme et définitive ; d’un dégoût profond pour tous ces désirs, tous ces espoirs que j’aurais pu, extérieurement, réaliser si facilement alors qu’il m’avait été, intérieurement, impossible de seulement pouvoir le souhaiter.
Je me suis toujours placé en marge du monde et de la vie, et le choc que me donnait un de leurs éléments m’a toujours blessé comme une insulte lancée d’en bas, comme la révolte subite d’un laquais universel.
Arrive un individu vêtu d'un costume et dégoulinant d'eau. Il est naturel que je me dise : "Cet homme a été sous la pluie et c'est comme ça qu'il s'est mouillé." Mais il est bien possible qu'il n'ait pas été sous le pluie, qu'on ait renversé de l'eau sur lui ici dans la maison. La plupart des gens considéreraient que le fait que cet homme a été sous la pluie est un fait. Finalement, c'est une conclusion - une conclusion tout à fait naturelle, mais c'est une conclusion, ou une déduction.
Vous avez l’avantage d’être des hommes, et, je crois, parfois, du fond de ma fatigue de tous les abîmes –que mieux vaut le calme et la paix d’une nuit en famille, au coin du feu, que toute cette métaphysique des mystères à laquelle nous, les dieux et les anges, sommes condamnés par substance.
La crainte de faire du mal aux autres, la sensualité des conséquences, la conscience aiguë de l’existence réelle d’autres âmes, ces choses-là ont bloqué ma vie, et je me demande aujourd’hui en quoi elles ont été utiles, aussi bien pour les autres que pour moi-même. Les jeunes filles que je n’ai pas séduites l’ont été par d’autres, car elles devaient bien l’être, un jour ou l’autre, par un homme quelconque. Là où j’ai eu des scrupules, les autres n’en ont jamais eu. J’ai vu ce que j’avais fait, j’ai vu ce que c’était, en fin de compte –et je me suis demandé : valait-il la peine de tant réfléchir si cela m’a fait autant de mal ?
J'ai déposé le masque et me suis vu dans le miroir :
C'était l'enfant d'il y a combien d'années...
Il n'avait pas du tout changé.
C'est là l'avantage de savoir ôter le masque.
On est toujours enfant!
Le passé que fut
L'enfant.
J'ai déposé le masque, et puis je l'ai remis.
C'est mieux ainsi,
Ainsi, sans le masque.
Et je retourne à la personnalité comme à un terminus de ligne.
Sachant combien, et avec quelle facilité, les plus petites choses ont l’art de me torturer, je fuis délibérément leur contact, si petites soient-elles. Lorsqu’on souffre comme je le fais, parce qu’un nuage passe devant le soleil, comment ne souffrirait-on pas de l’obscurité, de ce jour perpétuellement couvert de son existence ?
J’étais devenu objectif envers moi-même. Mais je ne pouvais discerner si, ce faisant, je m’étais trouvé, ou bien perdu.
Il me faut choisir entre deux attitudes détestées - ou bien le rêve que mon intelligence exècre, ou bien l'action, que ma sensibilité a en horreur ; ou l'action, pour laquelle je ne me sens pas né, ou le rêve, pour lequel personne n'est jamais né.
Il en résulte, comme je déteste l'un et l'autre, que je n'en choisis aucun, mais comme, dans certaines circonstances, il me faut bien ou rêver, ou agir, je mélange une chose avec l'autre.
Toute opinion est une grossièreté, même si elle n'est pas sincère.
Une chose m'émerveille plus que la stupidité de la plupart des hommes à vivre leurs vies : c'est l'intelligence qu'il y a dans cette stupidité.
Il avait meublé son deux pièces - au prix, inévitablement, de certaines choses essentielles - avec un certain luxe, quoique approximatif. Il apportait un soin tout particulier aux sièges - des fauteuils profonds et moelleux -, aux rideaux et aux tapis. Il assurait avoir ainsi créé un intérieur "qui garantisse la dignité de son ennui".
Comme tous les êtres doués d'une grande mobilité mentale, j'éprouve un amour organique et fatal pour la fixité. Je déteste les nouvelles habitudes et les endroits inconnus.
Je veux être celui que j'ai voulu être, et que je ne suis pas. Si je cédais, je me détruirais. Je veux être une oeuvre d'art, dans mon âme tout au moins, puisque je ne peux l'être dans mon corps.
J'aimerais aimer aimer
On a planté sur ma bouche les baisers de tous les rendez-vous,
Agité, dans mon coeur, les mouchoirs de tous les adieux...
Quelle fatigue que d’être aimé, d’être véritablement aimé ! Quelle fatigue de devenir le fardeau des émotions d’autrui ! Changer quelqu’un qui s’est voulu libre, toujours libre, en garçon de course des responsabilités : répondre à certains sentiments, avoir la décence de ne pas prendre ses distances, simplement pour que les autres n’imaginent pas que l’on se prend pour un prince des émotions, et qu’on refuse le maximum que peut donner une âme humaine. Quelle fatigue de voir notre existence dépendre complètement de son rapport avec les sentiments de quelqu’un d’autre ! Quelle fatigue de devoir, d’une façon ou d’une autre, éprouver forcément quelque chose, de devoir forcément, même sans réelle réciprocité, aimer un peu aussi !
Et finalement, par dessus l'obscurité des toits luisants, la lumière froide d'un matin tiède point comme un supplice apocalyptique. C'est de nouveau l'horreur habituelle - le jour, la vie, l'utilité fictive, l'activité sans échappatoire possible. C'est de nouveau ma personnalité physique, visible et sociale, transmissible par des mots qui ne veulent rien dire, utilisable à merci par les gestes des autres, par la conscience des autres. C'est de nouveau moi, tel que je ne suis pas.
Vivre une vie cultivée et sans passion, au souffle capricieux des idées, en lisant, en rêvant, (...) une vie suffisamment lente pour être toujours au bord de l'ennui, suffisamment réfléchie pour n'y tomber jamais.(...) En dehors de cela, ne rien être, ne rien avoir, ne rien vouloir...
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.
Un interné dans un asile est, au moins, quelqu'un
Moi je suis un interné dans un asile sans asile. Je suis fou à froid,
Je suis lucide et fou,
Je suis étranger à tout et à tous égal :
Je dors éveillé avec des songes qui sont folie
Parce qu'ils ne sont pas des songes. Je suis ainsi...
Comme un homme qui tenterait, de très haut, de distinguer les êtres vivants dans une vallée, ainsi je me contemple en moi-même depuis un sommet et je suis, malgré tout, un paysage confus et indistinct.
C'est durant ces heures où s'ouvre un abîme dans mon âme que le plus petit détail vient m'accabler, comme une lettre d'adieu. Je me sens perpétuellement sur le point de m'éveiller, je me subis comme l'enveloppe de moi-même, dans un étouffement de conclusions. Je crierais de bon cœur, si mon cri pouvait parvenir quelque part. Mais je suis plongé dans un sommeil profond, qui se déplace de certaines sensations vers d'autres comme un cortège de nuages. [...]
On dirait que je cherche, à tâtons, un objet caché je ne sais où, et dont personne ne m'a dit ce qu'il était.
J'appartiens néanmoins à cette espèce d'hommes qui restent toujours en marge du milieu auquel ils appartiennent, et qui ne voient pas seulement la multitude dont ils font partie, mais également les grands espaces qui existent à côté.
Quant à l'Humanité, simple concept biologique ne signifiant rien d'autre que l'espèce animale humaine, elle n'était pas plus digne d'adoration que n'importe quelle autre espèce animale. Ce culte de l'Humanité, avec ses rites de Liberté et d’Égalité, m'a toujours paru une reviviscence des cultes antiques, où les animaux étaient tenus pour des dieux, et où les dieux avaient des têtes d'animaux.
J'envie le monde entier de n'être pas moi.
Quand je me suis penché à la fenêtre, haut perchée sur la rue que je regardais sans la voir, je me suis senti brusquement l'un de ces chiffons humides servant à nettoyer les saletés, qu'on étend aux fenêtres pour les faire sécher, et puis qu'on oublie là, et qui se ratatinent peu à peu.
Subitement, comme si quelque destin magicien venait de m'opérer d'une cécité ancienne avec des résultats immédiats, je lève la tête, de mon existence anonyme, vers la claire connaissance de la façon dont j'existe. Et je vois que tout ce que j'ai fait, pensé ou été, n'est qu'une sorte de leurre et de folie. Je suis effaré de tout ce que j'ai réussi à ne pas voir. Je suis dérouté par tout ce que j'ai été et qu'en fait, je le vois bien, je ne suis pas.
[People] Fernando Pessoa
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"Just another brick in the wall."
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Re: Fernando Pessoa
Merci pour la redécouverte!
30 ans, autiste cru 2013, trans (il/lui), Brest. Ex AVS, artiste, diplômé en Art. Propriétaire d'un Loup intérieur et dérapeur de réalité. ⚥
"Sire, sire, on en a gros!"
En bordure du bout du monde + La manufacture des loups + BANG! + Ouroboros
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