Les émotions au cœur du cerveau
Auteur: Sylvie Berthoz est chargée de recherche dans l'Unité INSERM U669 et psychologue dans le Service de psychiatrie pour adolescents et jeunes adultes de l'Institut Mutualiste Montsouris, à Paris.
Le cerveau est l'organe des émotions: il donne naissance à la joie, la tristesse, la peur ou la colère, comment tous ces affects sont-ils mis en relation et placés sous le contrôle de la raison? De récentes découvertes en neurosciences l'expliquent
En Bref
Le cerveau traite les différentes émotions (joie, tristesse, colère, etc.) à l'aide de modules spécialisés, mais aussi grâce à un circuit global qui y introduit une dimension rationnelle.
Une zone du cerveau permet de réguler volontairement l'intensité de certaines émotions. Elle pourrait être renforcée par divers types d'exercices.
Un tempérament plus ou moins émotif repose sur certains gènes, qui semblent renforcer ou fragiliser les connexions entre zones productrices et régulatrices
Les émotions ont longtemps été les laissées- pour-compte des neurosciences cognitives. Elles étaient considérées comme trop périlleuses à étudier du fait de leur caractère tellement subjectif, ne se prêtant pas à une approche expérimentale en laboratoire, par opposition au noble domaine de recherche que constitue l'étude de la « raison ». En outre, la recherche sur les bases cérébrales des émotions a pâti de la conception cartésienne, dualiste, selon laquelle le cerveau est le siège de « l'esprit » et le corps celui des émotions, le premier étant le propre de l'homme, tandis que les émotions seraient communes à tous les mammifères.
C'est presque fortuitement que l'étude scientifique des bases neuronales des émotions chez l'homme a vu le jour. À mesure de l'avancement des connaissances sur les mécanismes cognitifs et cérébraux mis en jeu dans l'attention, la mémoire, ou encore le raisonnement, neuroscientifiques et psychologues ont progressivement constaté combien les émotions peuvent influer sur les processus cognitifs. Ainsi, Antonio Damasio, de l'Université Southern California, raconte à propos d'un patient dont le comportement a radicalement changé à la suite de lésions cérébrales: « Je me suis aperçu que je m'étais beaucoup trop soucié des capacités intellectuelles d’Elliot et des facteurs mentaux sous tendant sa faculté de raisonnement, mais que, pour diverses raisons, j'avais complètement négligé de m'intéresser à sa réactivité émotionnelle.
« […] il était capable de raconter sa tragédie avec un détachement qui contrastait avec la gravité de ce qui lui arrivait TI ne laissait percer aucune émotion, racontant toujours les événements comme s'il en était un spectateur non personnellement engagé et impartial. » Par la suite, A. Damasio et ses collègues ont montré que la composante émotionnelle du psychisme façonne le comportement, notamment certains processus de prise de décision.
Le cerveau émotionnel
Grâce à l'essor des techniques de neuro-imagerie non invasives, et parallèlement au développement des méthodologies expérimentales neurosciences cognitives, l'étude des structures cérébrales impliquées dans la réponse émotionnelle a acquis ses lettres de noblesse et constitue aujourd'hui un domaine de recherche à part entière; les neurosciences des affects (Affective Neuroscience, en anglais). Les toutes premières études d'imagerie cérébrale fonctionnelle sur le traitement de stimulus émotionnels ont été menées chez des patients déprimés, anxieux ou victimes de lésions cérébrales. Néanmoins, il se entre un état dépressif majeur et un état transitoire de tristesse, qui fait partie du vécu émotionnel du sujet en bonne santé. Ces deux états peuvent être sous-tendus par des réseaux neuraux en partie communs, quoique distincts.
Ce n'est qu'en multipliant les études sur des personnes malades, d'une part; et chez le sujet sain, d'autre part, que nous avons pu progresser dans la caractérisation du réseau cérébral responsable de nos comportements émotionnels. Aujourd'hui, on dispose d'un nombre important d'études de neuro-imagerie qui permettent de comprendre avec une précision croissante quelles structures du cerveau nous font ressentir la peur, la joie, mais aussi des émotions plus complexes, telles que l'embarras, la culpabilité ou l'empathie. Ces études ont révélé des circuits complexes de structures interconnectées responsables de l'analyse des événements émotionnels.
Mais avant tout, comment fait-on pour étudier les émotions en laboratoire? Pour pouvoir identifier les bases neuronales des réactions émotionnelles, il est nécessaire de les disséquer en opérations mentales élémentaires. En effet, une réaction émotionnelle comporte différents processus, notamment la formation d'une émotion, son expression, l'expérience subjective qui lui est associée et l'adaptation du comportement au contexte émotionnel. Ces différentes opérations mettent en jeu des processus de complexité croissante, au cours desquels les mécanismes de représentation mentale évoluent. C'est pourquoi émotion et cognition impliquent des systèmes cérébraux en partie communs.
Pour étudier les émotions grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle, on cherche à mettre en correspondance des changements transitoires d'état émotionnel avec les variations d'activité des systèmes neuronaux associés. En comparant les activités correspondant à des états émotionnels contrastés (la peur par rapport à la joie, par exemple), il est possible de quantifier et de localiser les variations d'activité. Dans cette perspective, on recourt à des modèles dits « d'activation émotionnelle ». Deux approches permettent de tester la façon dont le cerveau traite une émotion.
L'induction externe consiste à exposer le sujet à un stimulus déclenchant une émotion, qui peut être visuel (on lui présente des photos de visages exprimant des émotions, des images ou des films dont l'aspect émotionnel a été préalablement validé) ou auditif. Dans ce dernier cas, on lui fait écouter des sons émotionnels, tels des pleurs ou des rires, ou des récits émotionnels, par exemple ; « Ce matin, son médecin m'a téléphoné pour m'annoncer que ma mère est atteinte d'un cancer en phase terminale » ou {( Hier soir, ma femme m'a annoncé qu'elle est enceinte.»Par opposition à l'induction externe, où l'on présente au sujet un stimulus réel, l’induction interne consiste à lui demander de se remémorer des évènements personnels, des situations qu’il considère comme chargées affectivement. Le stimulus est alors produit mentalement, de l'intérieur. A partir de ces deux sortes d'induction, les neuroscientifiques peuvent ensuite étudier ce qui se passe dans le cerveau quand on ressent passivement une émotion, mais aussi quand on se focalise sur elle, en lui donnant une résonance affective plus profonde, en lien avec son histoire personnelle.
À chaque émotion son « centre » cérébral?
Il importe ensuite de confronter les résultats de telles études au sein de ce qu'on 'nomme des méta-analyses, qui consistent à centraliser de nombreuses études consacrées par exemple à la peur, à la joie, il la tristesse. Il s’agit de comparer les résultats de ces études, et d'en extraire les résultats les plus saillants. C'est ainsi que l'on peut aujourd'hui localiser certaines régions du cerveau qui semblent plus particulièrement impliquées dans la perception de telle ou telle émotion.
En 2002, nous avons mis en correspondance les résultats d'un grand nombre d'études d'imagerie cérébrale. Nous avons ainsi mis au jour plusieurs notions importantes. Tout d'abord, il ne semble pas exister de dominance de l'hémisphère droit dans le traitement des émotions, ni une spécialisation des zones antérieures dans les émotions positives ou des zones -postérieures dans les émotions négatives, ou vice versa. Ce constat est en désaccord avec ce qui avait été suggéré dans les modèles précédents issus de la neuropsychologie. En revanche, les émotions primaires semblent relativement localisées dans des aires spécifiques.
En ce qui concerne la joie, seule émotion positive, plus de la moitié des études confrontées révèlent des activations des noyaux gris central: (voir la figure 1), structures nerveuses localisées dans la profondeur du cerveau, et qui régulent notamment les mouvements. Pour les émotions négatives, il existe tout d'abord un lien étroit entre l'induction de la peur et l'activation de l'amygdale, une zone en forme d'amande, proche des noyaux gris centraux. Cette activation s'observe aussi bien lorsqu'on présente à une personne des photographies de visages exprimant la peur, que si on lui fait lire des mots effrayants, ou si elle entend des sons inquiétants. Tout se passe comme si l'amygdale fonctionnait comme un système d'alarme à l'égard des menaces potentielles, ou, plus généralement de tout signal émotionnel saillant dans l'environnement. Chez certaines personnes, il arrive que l'amygdale s'active au moment de faire une présentation en public, ou même à l’idée de cette présentation. Ces personnes souffrent de ce que l’on nomme une phobie sociale, peur d'apparaître en public. Peur, angoisse et stress sont globalement liés à l'activation de l'amygdale.
Venons-en à la tristesse: cette fois, les résultats convergent vers l'activation de l'aire dite subgénuale du cortex cingulaire antérieur. C'est également dans cette région que l'on a observé une diminution de l'activité chez des personnes déprimées. Par ailleurs, les traitements antidépresseurs en augmentent l'activité. li y a donc une correspondance entre les activations cérébrales associées à l'induction transitoire d'un état de tristesse chez le sujet sain, et les variations d'activité observées dans les troubles de l'humeur.
Enfin, bien que la colère et le dégoût aient été moins fréquemment étudiés, il semblerait que le dégoût soit particulièrement associé à l'activation de l'insula (notamment antérieure), et la colère à l’activité du cortex orbitofrontal latéral.
Quand émotion et cognition se conjuguent
Toutefois, si certaines' activations cérébrales régionales semblent dépendantes de la nature de l'émotion, d'autres ne le sont pas. Ainsi, les méta-analyses ont également révélé que, quelle que soit l'émotion induite, qu'elle soit plaisante ou déplaisante, et indépendamment de la méthode d'induction (interne ou externe), une structure cérébrale située dans le lobe frontal -le cortex préfrontal dorsomédian - est systématiquement activée. Cette région cérébrale jouerait un rôle clé dans « l'Intégration émotionnelle », lors de l'évaluation cognitive des caractéristiques émotionnelles des stimulus en fonction du contexte (voir la figure 2). Ce phénomène d'intégration des émotions et de la cognition est parfois qualifié de métacognition.
La métacognition est à l’œuvre dans la plupart des situations émotionnelles. C'est elle qui fait que l'on n'est pas effrayé quand on voit un animal sauvage en cage, alors qu'on le serait en l'absence de barreaux: l'évaluation (cognitive) de la situation module en partie le déclenchement de l'émotion. Ii existe donc un filtre cognitif posé sur l'émotion brute, qui serait produit par le cortex préfrontal dorsomédian.
D'autres équipes de recherche se sont intéressées au déroulement temporel de ces processus cérébraux, c'est-à-dire à leur évolution dans le temps. Une telle analyse repose sur la méthode dite des potentiels évoqués ou magnétoencéphalographie: il s'agit de mesurer les courants magnétiques produits par les différentes zones du cerveau au cours du temps, au moyen d’électrodes posées sur le crâne.
En 2007, des neuroscientifiques tels que Amanda Holmes et Martin Heimer, de l'Université de Roehampton en Angleterre, se sont demandé si le cerveau réagissait suivant une dynamique différente, quand on présentait à une personne des expressions faciales chargées émotionnellement ou neutres. Il a ainsi été établi que, comparativement il des visages neutres, la perception de visages émotionnels est associée à des modifications précoces de l'activité corticale, atteignant leur maximum dès 120 millisecondes après l'apparition des visages. Ces résultats, obtenus sans qu'il soit demandé aux sujets de réaliser une évaluation consciente du contenu émotionnel des visages, suggèrent que notre cerveau réalise une analyse différentielle automatique, très précoce, des stimulus sociaux émotionnels. En outre, Jonas Olofsson et ses collègues, de l'Université d'Umea en Suède, ont constaté que la visualisation de scènes déplaisantes suscite des ondes cérébrales plus intenses (encore nommées positivités) que les scènes plaisantes.
Cela suggère que les stimulus aversifs (désagréables ou dangereux) sollicitent davantage la focalisation rapide de l’attention. Cela explique-t-il la prédominance des émotions négatives (cinq émotions négatives de base, pour une seille positive) dans le registre émotionnel humain. Dans cette perspective, les émotions négatives auraient le pouvoir de mobiliser les ressources attentionnelles pour se soustraire aux dangers, et auraient remplie tout au long de notre évolution un rôle dans notre survie.
Cerveau.jpg
Qu'est ce que la conscience émotionnelle ?
Dans le monde de l'affect, il n'y a pas que les émotions de base. Chaque personne a sa façon bien à elle de ressentir l'émotion, de lui donner une résonance, d'en prendre conscience ou au contraire de la subir de façon distante et relativement passive. La conscience émotionnelle est l'intensité avec laquelle nous apprécions notre propre ressenti émotionnel, afin d'en évaluer les; conséquences et le sens, mais aussi notre capacité à attribuer des émotions à autrui. Là encore, lès études de neuro-imagerie ont permis de mieux comprendre les bases neuronales de ce phénomène. Par exemple, le psychologue américain Richard Lane a comparé les modifications de l'activité neuronale de volontaires, selon qu'ils avaient pour consigne de se concentrer sur leur propre ressenti devant des scènes émotionnelles, ou qu'on leur demandait de se concentrer sur certains aspects des mêmes scènes (l'heure indiquée par une horloge, etc.}, Lorsque les sujets devaient porter leur attention sur des aspects particuliers, la région du cortex pariéto-occipital s'activait, ce qui est logique, car on sait que cette zone intervient dans l'attention spatiale. En revanche, lorsqu'ils se concentraient sur leur propre émotion, c'est la région rostrale du cortex cingulaire antérieur, ou aire de Brodmann BA32, qui s'activait. D'autres études, notamment celles de Neil MacRae en 2008, ont confirmé le r61e particulier du cortex cingulaire antérieur dam la représentation subjective de la réponse émotionnelle. C est cette zone du cerveau qui nous permet de prendre pleinement conscience des émotions que nous ressentons, qu'il s'agisse de la peur, de la joie on de la tristesse ...
L’émotion, un chemin vers l'autre
Honte, fierté, culpabilité... les émotions sociales sont ressenties en présence d'un tiers, en public, ou en relation avec autrui. Plusieurs équipes ont étudié la culpabilité et l'empathie. Elles ont examiné quelles structures cérébrales sont sollicitées quand on demande, par exemple, à un sujet de se représenter ce qu'une autre personne éprouve dans une situation donnée. Certes, il n'est pas facile d'étudier une réaction empathique dans un environnement expérimental souvent éloigné des conditions de vie réelles. Mais certaines techniques permettent de reproduire assez fidèlement les processus empathiques spontanés, par exemple en demandant à des volontaires de lire la consigne suivante; « Imaginez que vous êtes assis à côté de quelqu'un d'inconnu sur un banc dans un parc, et que vous réalisez que cette personne pleure. Représentez-vous pourquoi cette personne pleure. Racontez. » De fait, une telle consigne fait appel à des mécanismes proches de ceux auxquels recourent les cliniciens pour prendre en charge des patients souffrant de troubles psychiatriques.
Dans l'ensemble, les études des mécanismes de l'empathie ont montré qu'en plus de structures préalablement associées aux émotions primaires (dont le cortex cingulaire antérieur, le cortex orbitofrontal et I'insula), le circuit neural de la « mentalisation », grâce auquel nous nous représentons l'état mental d'autrui, est activé et notamment le cortex préfrontal, le sillon temporal supérieur, les portions antérieures des lobes temporaux et l'amygdale (voir la figure 2).
L’orchestration de ces zones cérébrales est altérée dans certains troubles psychiatriques, comme nous l'avons montré avec Julie Grèzes, directeur de recherche à l'INSERM, dans le cas de l'autisme. *
Abordons la question de la régulation émotionnelle; que se passe-t-il dans votre cerveau pour qu'en quelques secondes vous réalisiez en voyant un matin la mine défaite de votre meilleur ami que ce n'est pas le moment de lui annoncer que vous avez gagné au loto? Cette question a été abordée avec succès depuis peu, grâce à une nouvelle méthode d'analyse du fonctionnement cérébral: l'analyse de connectivité fonctionnelle. De quoi s'agit-il? Lorsqu'une personne réalise une tâche mentale, ou ressent des émotions en lisant un texte ou en regardant des images, les scanners enregistrent l'activité de différentes zones cérébrales. La connectivité fonctionnelle consiste à observer quelles zones sont activées et les liens entre-elles: pour ce faire, on examine si l'augmentation de l'activité dans une zone particulière s'accompagne de l'augmentation de l'activité dans d'autres régions du cerveau. On établit ainsi des corrélations d'activités entre différents sites cérébraux, qui permettent en quelque sorte de reconstruire la façon dont le cerveau s'organise pour percevoir certaines situations, pour réguler son activité, notamment quand des émotions sont en jeu.
La régulation émotionnelle
La méthode d'analyse de connectivité fonctionnelle a permis d'établir un modèle anatomo-fonctionnel des stratégies de régulation émotionnelle, qu'elles soient volontaires on automatiques. Ce qui signifie que l'on commence à avoir une idée des zones du cerveau qui entrent en jeu lorsque nous régulons une émotion, qu'il s'agisse de refréner sa colère ou de tempérer sa tristesse, ainsi que de la façon dont ces différentes aires cérébrales s'activent, successivement ou simultanément, et interagissent. Le résultat de ces travaux, notamment ceux de la psychologue américaine Louise Phillips en 2008, est assez étonnant; notre capacité à produire un comportement émotionnel approprié impliquerait l'orchestration de plusieurs circuits comprenant deux grandes voies et entretenant des relations de rétrocontrôle.
Il existerait ainsi, premièrement, une voie ventrale sollicitant des structures sous-corticales, telles que l'amygdale, I'insula, le striatum et l'hippocampe, ainsi que les régions ventrales du cortex préfrontal latéral et médian, du cortex cingulaire antérieur et du cortex orbitofrontal.
Cette voie serait plus particulièrement impliquée dans les processus automatiques de la régulation émotionnelle, qui œuvrent sans que nous n'en prenions conscience: c'est ce qui permet par exemple à une peur de s'estomper progressivement. Ainsi, un enfant voyant un chien pour la première fois peut avoir peur de lui, mais, petit à petit, il constate qu'il n'y a pas de danger, et sa peur est atténuée par des mécanismes internes de régulation dits automatiques.
Deuxièmement, une voie dorsale incluant à la fois les régions dorsales du cortex préfrontal (dorsolatéral et médian) et le cortex cingulaire antérieur. Cette voie serait davantage impliquée dans la régulation volontaire et contrôlée de la réponse émotionnelle et l'adaptation du comportement à la situation. C'est ce circuit cérébral qui vous permet, si un individu vous double dans une file d'attente, de ne pas l'agresser directement, mais de lui signifier poliment que vous attendiez là depuis déjà plusieurs minutes.
cerveau1.jpg
Les gènes en question
Mais en quoi la connaissance des zones du cerveau qui contrôlent nos réactions émotionnelles peut-elle nous aider à mieux maîtriser nos élans affectifs? Une discipline en plein développement (même si l'on manque encore d'études pour en évaluer l'efficacité) est la régulation de sa propre activité cérébrale, ou neuro-feedback. Le principe est simple: on observe l'activité de son cerveau pendant que l'on vit des émotions, et l'on s'efforce par exemple de diminuer l'activité de la zone responsable de la colère, en fixant son attention sur un écran.
Le neuroscientifique américain Christopher de Charms a ainsi montré, par des nouvelles techniques de neuro-imagerie (notamment l'imagerie fonctionnelle en temps réel, ou real time fMRI), qu'un individu peut apprendre à faire varier en direct ]'activité de son cerveau, et que plus il fait diminuer l'activité de la zone du cerveau associée à une émotion (par exemple, pour la douleur, Je cortex cingulaire antérieur), plus il peut atténuer le ressenti affectif associé (ici la douleur).
Ainsi, des résultats particulièrement prometteurs ont été obtenus par Holger Gevensleben et ses collègues, de l'Université de Göttingen en Allemagne, chez des enfants atteints de trouble de l'attention et de l'hyperactivité : on a constaté chez les enfants ayant suivi de telles séances de régulation cérébrale une amélioration de leurs symptômes. Cette méthode de « rééducation cérébrale » est donc prometteuse, mais la mise en évidence d'un effet durable de ce type d'entraînement cérébral reste à établir.
Ainsi, des avancées dans la caractérisation des bases cérébrales de nos comportements émotionnels ont été réalisées, mais d'autres sont à venir. Actuellement, des études d'envergure sont menées chez l'adolescent pour comprendre les bases neurales de J'attachement, ou les différences interindividuelles d'affectivité.
À ce propos, la rencontre avec la génétique a permis de mettre en correspondance une personnalité anxieuse avec un gène qui intervient dans le cycle de la sérotonine** (un neuromédiateur clé de l'affectivité) et avec le degré de connectivité entre le cortex préfrontal et l'amygdale. Le psychologue et neuroscientifique Turhan Canli, de l'Université Stony Brook aux États-Unis, et le psychiatre Klaus-Peter Lesch, de l'Université de Würzburg en Allemagne, ont ainsi étudié des personnes dont certaines étaient porteuses d'une variante courte d'un gène modulant la production de sérotonine, et d'autres d'une variante longue. Ils ont constaté que les porteurs de la variante courte sont plus anxieux; en outre, leur amygdale s'active davantage à la vue de visages menaçants ou apeurés. Enfin, chez ces personnes, le couplage entre l'activation de l'amygdale et celle des régions ventrales du cortex préfrontal est plus marqué lors de la visualisation d'images déplaisantes.
De tels travaux fondamentaux montrent toute l'importance du lien entre les gènes, le fonctionnement du cerveau et des émotions telles la peur ou l'anxiété. Il est important, dès lors, de considérer les émotions comme un mélange d'une prédisposition génétique, et du fonctionnement cérébral, lui-même fruit des gènes, de l'expérience et de l’éducation... C'est certainement une des plus importantes directions de recherche pour l'avenir.
* note de Madu - certes c'est mis psychiatrique mais ne nous arrêtons pas là ...
** note de Madu - on se rappelle de la sérotonine ici :
http://forum.asperansa.org/viewtopic.ph ... ine#p89956
contributions :
s. Berthoz et S. Krauth-Gruber; La Face Cachée des Émotions, Éditions Le Pommier Universciences, Collection Le Collège, 2011.
J. Grèzes et ar., A Foi/ure to grasp the affective meaning of actions in autism spectrum disorder subjects, in Neuropsychologia, vol. 47(8-9), pp. 1816-1825,2009_
M. L. PhiIHps et at. A neuralmodel of voluntary and automatic emotion regu/aHon : implications for understanding the pathophysiology and neurodevelopment
of bipolardisorder, in Mol. Psychiatry, vol. 13[9), pp. 829,833-57,2008.
c. Besche-Richard et C. Bungener, Psychopathologies, émotions et neurosciences, Belin 2006.
S. Berthoz et al., Emotions: From neuropsycho/ ogyto functional imaging, in Int.
J. Psychology, vol. 37[41, pp. 193203,2002.
Vous n’avez pas les permissions nécessaires pour voir les fichiers joints à ce message.