Meditation sur la rose

[stef_asper]

Modération (Tugdual) : Déplacement du sujet depuis "Art et littérature".


Bonsoir,

Je profite de cette rubrique pour vous faire partager un sujet qui m'inspire.

Ma signature est :
« La rose est sans pourquoi,
elle fleurit parce qu'elle fleurit,
elle ne se soucie pas d'elle-même,
elle ne se demande pas si on la voit. »
(Angelus Silesius, Livre I, 289)

Si j'aime cette phrase d'Angelius Silesius c'est car elle est le sujet d'une meditation tres profonde de Martin Heidegger, le philosophe allemand.

Voici avec mes mots, et ce que j'en ai compris, ce que veut dire Heidegger :

Il s'agit de faire avec la rose une experience. Il s'agit d'abord d'une experience du langage, c'est à dire entendre ce que la rose a à nous dire. Comprendre ce qui, à travers la rose, parle.

Le fait que la rose soit "sans pourquoi" signifie à priori que la rose est juste un objet decoratif. Quelque chose qui procure une satisfaction à l'oeil. Le but est justement de depasser cette experience purement esthetique de la rose pour acceder à une experience plus profonde de ce que la rose EST dans son être.

Ainsi la phrase : "la rose est sans pourquoi" doit s'interpreter d'une autre facon. Il existe un second niveau d'interpretation.

Le probleme est que tant que l'experience de la rose restera une experience des sens (son odeur, sa beauté) nous ne pouvons pas acceder à une autre experience qui elle est une experience du sens.

Dit autrement, le sens precede les sens, et pas l'inverse.

Le fait que la rose soit sans pourquoi signifie simplement que la rose ne se laisse pas saisir dans son etre de rose par une forme de comprehension qu'elle soit intellectuelle ou sensible.

Cela signifie simplement qu'il existe chez la rose un refus secret d'elle meme. Le mystere de la rose doit etre accepté en tant que mystere. Car dans le mystere quelque chose se livre à demi mot. Quelque chose qui est de l'ordre du sens. Quelque chose qui ne sera jamais l'objet d'une representation mais qui peut nous atteindre à condition que nous sachions nous mettre à son ecoute.

Voilà

[Bulledozer]

La rose est belle parce qu'elle est rose...tout simplement.
La rose est belle parce qu'on l'aime pour ce qu'elle est: une rose...tout simplement.
La rose est belle parce que le regard qui se pose sur elle est beau...tout simplement.
Mais elle souffre d'être coupée, elle souffre d'être un objet de commerce, elle souffre si un petit prince leur dit : "- Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il encore. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe. Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf les deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose. "

La rose doit rester ce qu'elle est pour l'homme " l'obscur objet du désir"...un être vivant, subtil...avec des épines...pour maintenir...la bonne distance...nécessaire à l''expression de la vie, de l'amour et de la mort.

[stef_asper]

Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait qu'elle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes

En effet.

La rose n'existe pas.

Il existe des roses.

Il n'existe pas un genre rose dans lequel on peut mettre toutes les roses ensembles. Chaque rose est unique.

Mais elle souffre d'être coupée, elle souffre d'être un objet de commerce

Oui, faire commerce avec la rose c'est avoir un vision utilitariste de la rose. C'est considerer la rose comme simple objet (par exemple pour le plaisir du regard)

Mais regarder une rose n'est jamais un acte banal. Jamais un acte anodin.

Regarder une rose ca s'apprend.

Ce n'est pas avec "l'oeil optique" qu'il est possible de regarder une rose.

Ce qui ouvre, c'est l'emerveillement.

S'emerveiller c'est naitre à nouveau.

C'est ouvrir les yeux pour une seconde premiere fois.

[Bulledozer]

Oui, je suis d'accord sauf sur le fait que regarder une rose s'apprend: moi j'ai le sentiment que le regard juste est un don de la ...Nature, mais si je m'en réfère aux écrits de Jung que je dévore en ce moment, la véritable culture arrive après le moment spontané, en élaguant ( non pas la rose ni les épines) mais le superflu qui correspondait à l'expression de la vitalité de la jeunesse ( je me brûle un peu les ailes, je construits, j'élargis, j'englobe-justement comme le fait le petit Prince-...( en apprentissage...) ...

Et donc par ce déplacement je trouve l'idée de re-naissance du regard juste.

J'ai vu une émission abominable sur le circuit commercial de la rose en Afrique et en Inde, gavée de pesticides, qui crée de graves malformations chez les bébés et les femmes qui s'occupent d'ôter les épines, formater la rose...tout ça pour qu'un amoureux de la dernière minute emmerdé d'arriver les mains vides chez sa proie, se rue chez un fleuriste bas de gamme dans la rue du coin et apporte l'obscur bouquet d'un malheur qui ne raconte pas son passé...

Pour moi qui ressens beaucoup de vibrations notamment des mondes antérieurs et intérieurs, qui plus est attachée à l'odeur d'une vraie rose sauvage, je peux te dire que recevoir un tel bouquet me donne envie de "recevoir" comme il se doit le prétendant...un plat de coquillettes sur la tête...

Ce n'est plus poétique, mais la rose perdue du politique, la rose perdue du cliché amoureux, mise sous globe, porte atteinte et à la nature et à la poésie...

Maintenant je préfère avoir dans les mains si vraiment il faut en accepter l'offrande par le véritable élan du coeur une ou deux roses avec quelques brins d'herbes sauvages qui sentent bon la rosée...mais mais...ça me fait mal tout de même car la rose est tellement plus inspirante quand on lui laisse aussi parcourir son temps de vie...

Je ne pourrai décemment plus jamais vivre en ville...s'occuper de sa rose oui, mais avec un regard tendre, un toucher respectueux s'il doit y être de ses pétales et un léger recul pour respecter la petite part de refus dont tu parlais aussi finalement mais peut-être pas dans le "refus" d'être elle-même, mais plutôt dans le "refus de n'être plus elle-même"...

Amitié florale

[stef_asper]

Oui, je suis d'accord sauf sur le fait que regarder une rose s'apprend:

Je comprends ton etonnement concernant cette phrase,

mais nous avons tellement l'habitude de "saisir du regard" que nous ne savons pas regarder d'une autre facon.

La simplicité du regard, la simplicité de l'accueil, est tout le contraitre d'une "saisie".

Nous avons surement eu les premiers ages de notre vie la capacité à regarder.

Et il est vrai que "voir" est la chose la plus simple.

C'est cette simplicité qui une fois adulte est la chose la plus difficile à retrouver.

[Bulledozer]

Je crois justement que ce n'est pas dans l'enfance que l'on sait regarder avec le coeur tant est lourde la charge d'apprentissages à se défaire pour faire place "nette" par la suite...
Je parle me concernant tant j'étais appliquée à satisfaire le désir de l'autre et à rendre compte de façon parfaite de tous mes faits et gestes scrupuleusement notés sur un calepin....
Il faut aussi réapprendre par l'exemple de la rose, à regarder l'autre dans un regard "neuf", dans sa dimension d'enfance à retrouver aussi...
Il ne s'agit donc pas d'un "retour vers le passé" mais bien d'une construction à venir: c'est la promesse du cycle de la rose qui se fane mais laisse traîner derrière elle le parfum subtil du souvenir à venir...

( ça devient des mots à l'eau de rose ) Détournons ou retournons la terre pour une nouvelle floraison de l'esprit parce que là, je crois que je m'intoxique toute seule en me lisant... ( je ne suis pas vraiment romantique donc quand je m'y mets ça me rend un peu épineuse...ou si, je suis romantique mais si on y ajoute quelques épices venant de l'orient ^^ )