[Index Psy] Neurosciences, neurologie, cerveau...
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[Index Psy] Neurosciences, neurologie, cerveau...
Cet article n'a pas de lien direct avec l'autisme, mais les infos sur les neurosciences ou les sciences cognitives m'intéressent. Pourquoi pas vous ?
Conscience : le test par la dissonance
LE MONDE | 24.01.09
Etre conscient, c'est savoir où finit la monotonie. Cette définition pourrait être déduite d'une étonnante expérience conduite par une équipe française, consistant à évaluer - grâce à des séries de sons identiques incluant ou non des altérations - l'état mental de malades dits "non communicants". Commençant à peine à sortir du coma ou plongés dans un état végétatif chronique, ils constituent le plus souvent une énigme pour les médecins, incapables de déterminer s'ils sont conscients ou non.
Ce test reposant sur l'observation de l'activité cérébrale, développé par une équipe bénéficiant du soutien financier de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, permet de répondre. L'étude, menée par des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris) a été publiée, lundi 19 janvier, dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.
L'équipe dirigée par Lionel Naccache (Inserm U562) et réunissant Tristan Beckinschtein et Stanislas Dehaene (Inserm/CEA) a eu recours à la mesure de l'activité électrique cérébrale au cours de l'audition de sons. Le test joue sur la différence entre une réponse automatique non consciente au stimulus sonore et une réponse correspondant à une véritable prise de conscience de sons inattendus.
Jusqu'à la fin des années 1990, les moyens de connaître le degré d'activité mentale reposaient sur l'examen clinique, généralement avec des grilles ou des échelles de cotation des comas, sur les données de l'imagerie du cerveau et sur des arguments neurophysiologiques apportés par l'électro-encéphalogramme. La technique consistant à enregistrer l'activité électrique du cerveau en réponse à des stimuli - dite "des potentiels évoqués cognitifs" - a été utilisée par la suite, notamment en France par l'équipe de Catherine Fischer à Lyon.
En l'occurrence, il s'agit d'un son différent émis après une série de sons identiques. Notre cerveau produit alors des signaux spécifiques. Parmi ceux-ci, une réponse automatique rapide, sous la forme d'une onde électrique négative intervenant 150 millisecondes (ms) après le son discordant. "Elle a été retrouvée chez des malades dans le coma, et laisse alors présager dans 80 % des cas une récupération, indique Lionel Naccache. Mais, si elle permet de prévoir le réveil d'un patient, elle ne peut prédire s'il y aura persistance d'un handicap cognitif."
L'équipe française s'est donc attelée à chercher un moyen d'évaluer le niveau de conscience, en testant la capacité du sujet à intégrer une règle "matérialisée" par des séries de sons. Cette fois, c'est l'absence de nouveauté que le cerveau doit remarquer : après l'écoute, à plusieurs reprises, d'une série de quatre sons identiques ponctuée d'un cinquième son différent, une série de cinq sons identiques est émise. Si la règle a été comprise, la réponse cérébrale n'est plus rapide et fugace, mais plus tardive (entre 500 et 600 ms) et plus durable. Consciente.
"Nous avons vérifié ce qui se passe avec l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), décrit Lionel Naccache. La réponse consciente est couplée à une activation plus globale d'un vaste réseau cérébral, notamment dans les lobes frontaux et pariétaux. Elle constitue donc une véritable signature d'une activité consciente, comme nous avons pu le valider chez des sujets sains."
Le test a ensuite été appliqué à huit malades. Quatre étaient dans un état végétatif (présence de cycles avec alternance veille-sommeil, absence d'activité volontaire et intentionnelle) et quatre dans un état de "conscience minimale", qui fluctue avec des altérations de la conscience. Comme on pouvait s'y attendre, aucun des quatre patients en état végétatif n'a présenté d'activation globale. A l'inverse, cette signature a été décelée chez trois des quatre patients en état de conscience minimale. Ces travaux confortent un modèle d'"espace global conscient", conçu par cette équipe.
"Cette étude est très élégante, en ce qu'elle traduit un concept théorique en test clinique, commente le neurologue Steven Laureys (université de Liège). Tout nouvel outil est le bienvenu, car pour ces patients-là, le diagnostic peut être une question de vie ou de mort." Certains pays mettent fin aux soins lorsque l'état du malade ne s'est pas amélioré après plusieurs mois. "A l'inverse, si on parvient à prouver un état de conscience, la prise en charge sociale et médicale pourra être adaptée, par des programmes de stimulation par exemple." Enfin, note-t-il, le test pourrait réduire les incertitudes des familles quant à la capacité de leur proche à récupérer.
Lionel Naccache précise cependant que si "le test peut déceler un état conscient, une réponse négative ne veut pas dire que le patient est inconscient, car la réponse peut être modifiée, par exemple, par des altérations de la mémoire." Voire par le sommeil. L'absence de preuve n'est pas preuve de l'absence.
Paul Benkimoun et Hervé Morin
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/artic ... _3238.html
Conscience : le test par la dissonance
LE MONDE | 24.01.09
Etre conscient, c'est savoir où finit la monotonie. Cette définition pourrait être déduite d'une étonnante expérience conduite par une équipe française, consistant à évaluer - grâce à des séries de sons identiques incluant ou non des altérations - l'état mental de malades dits "non communicants". Commençant à peine à sortir du coma ou plongés dans un état végétatif chronique, ils constituent le plus souvent une énigme pour les médecins, incapables de déterminer s'ils sont conscients ou non.
Ce test reposant sur l'observation de l'activité cérébrale, développé par une équipe bénéficiant du soutien financier de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière, permet de répondre. L'étude, menée par des chercheurs de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière (Paris) a été publiée, lundi 19 janvier, dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.
L'équipe dirigée par Lionel Naccache (Inserm U562) et réunissant Tristan Beckinschtein et Stanislas Dehaene (Inserm/CEA) a eu recours à la mesure de l'activité électrique cérébrale au cours de l'audition de sons. Le test joue sur la différence entre une réponse automatique non consciente au stimulus sonore et une réponse correspondant à une véritable prise de conscience de sons inattendus.
Jusqu'à la fin des années 1990, les moyens de connaître le degré d'activité mentale reposaient sur l'examen clinique, généralement avec des grilles ou des échelles de cotation des comas, sur les données de l'imagerie du cerveau et sur des arguments neurophysiologiques apportés par l'électro-encéphalogramme. La technique consistant à enregistrer l'activité électrique du cerveau en réponse à des stimuli - dite "des potentiels évoqués cognitifs" - a été utilisée par la suite, notamment en France par l'équipe de Catherine Fischer à Lyon.
En l'occurrence, il s'agit d'un son différent émis après une série de sons identiques. Notre cerveau produit alors des signaux spécifiques. Parmi ceux-ci, une réponse automatique rapide, sous la forme d'une onde électrique négative intervenant 150 millisecondes (ms) après le son discordant. "Elle a été retrouvée chez des malades dans le coma, et laisse alors présager dans 80 % des cas une récupération, indique Lionel Naccache. Mais, si elle permet de prévoir le réveil d'un patient, elle ne peut prédire s'il y aura persistance d'un handicap cognitif."
L'équipe française s'est donc attelée à chercher un moyen d'évaluer le niveau de conscience, en testant la capacité du sujet à intégrer une règle "matérialisée" par des séries de sons. Cette fois, c'est l'absence de nouveauté que le cerveau doit remarquer : après l'écoute, à plusieurs reprises, d'une série de quatre sons identiques ponctuée d'un cinquième son différent, une série de cinq sons identiques est émise. Si la règle a été comprise, la réponse cérébrale n'est plus rapide et fugace, mais plus tardive (entre 500 et 600 ms) et plus durable. Consciente.
"Nous avons vérifié ce qui se passe avec l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), décrit Lionel Naccache. La réponse consciente est couplée à une activation plus globale d'un vaste réseau cérébral, notamment dans les lobes frontaux et pariétaux. Elle constitue donc une véritable signature d'une activité consciente, comme nous avons pu le valider chez des sujets sains."
Le test a ensuite été appliqué à huit malades. Quatre étaient dans un état végétatif (présence de cycles avec alternance veille-sommeil, absence d'activité volontaire et intentionnelle) et quatre dans un état de "conscience minimale", qui fluctue avec des altérations de la conscience. Comme on pouvait s'y attendre, aucun des quatre patients en état végétatif n'a présenté d'activation globale. A l'inverse, cette signature a été décelée chez trois des quatre patients en état de conscience minimale. Ces travaux confortent un modèle d'"espace global conscient", conçu par cette équipe.
"Cette étude est très élégante, en ce qu'elle traduit un concept théorique en test clinique, commente le neurologue Steven Laureys (université de Liège). Tout nouvel outil est le bienvenu, car pour ces patients-là, le diagnostic peut être une question de vie ou de mort." Certains pays mettent fin aux soins lorsque l'état du malade ne s'est pas amélioré après plusieurs mois. "A l'inverse, si on parvient à prouver un état de conscience, la prise en charge sociale et médicale pourra être adaptée, par des programmes de stimulation par exemple." Enfin, note-t-il, le test pourrait réduire les incertitudes des familles quant à la capacité de leur proche à récupérer.
Lionel Naccache précise cependant que si "le test peut déceler un état conscient, une réponse négative ne veut pas dire que le patient est inconscient, car la réponse peut être modifiée, par exemple, par des altérations de la mémoire." Voire par le sommeil. L'absence de preuve n'est pas preuve de l'absence.
Paul Benkimoun et Hervé Morin
http://www.lemonde.fr/aujourd-hui/artic ... _3238.html
Modifié en dernier par Jean le dimanche 25 janvier 2009 à 19:57, modifié 1 fois.
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Musicophilia
"Musicophilia - La musique, le cerveau et nous" d'Oliver Sacks
" La musique doit agir par surprise "
Neurologue reconnu, le Britannique n'a jamais cessé de mêler science et littérature, clinique et théorie. Son " Musicophilia " est une ode vibrante à la musique et à ses effets sur l'être humain
Le docteur Oliver Sacks découvrit le pouvoir thérapeutique de la musique alors qu'il travaillait au Beth Abraham Hospital, dans le Bronx, auprès de patients profondément immobiles. Atteintes d'encéphalite léthargique, ces statues vivantes résistaient à tout traitement médicamenteux. Mais la musique, de temps à autre, savait les animer " avec une aisance et une grâce qui semblaient démentir leur parkinsonisme ". C'était en 1966. Le jeune Britannique, qui commençait tout juste à exercer la neurologie à New York, fut fasciné par les comportements de ces malades. Au point de les décrire dans L'Eveil (Awakenings, 1973), l'ouvrage qui, dix ans plus tard, le rendrait célèbre.
La rencontre personnelle d'Oliver Sacks avec la musique est nettement plus ancienne : son père, médecin généraliste, était un fervent pianiste amateur. " Il avait toujours deux ou trois partitions sur lui, et il lui arrivait d'en extraire une de son veston entre deux consultations médicales pour s'offrir un petit concert intérieur. " Lui-même, à 75 ans, vient de se remettre au piano, sur le Bechstein de concert paternel dont il a hérité. " Je reprends même des cours, après une petite interruption de soixante-deux ans ", badine-t-il lors de notre rencontre à Londres, sa ville natale, en novembre dernier. Un passage éclair effectué pour une cause honorifique - recevoir des mains de la reine l'insigne de commandeur de l'Empire britannique -, au cours duquel son i-Pod ne le quittera guère. " Vous rendez-vous compte que cette petite chose contient tout Bach, soit 157 CD ? ", s'exclame-t-il. Pour un voyage de quelques jours, le professeur a prévu large.
" La musique a continuellement attiré mon attention à bien plus d'égards que je n'aurais pu l'imaginer, en me montrant qu'elle influe sur chaque aspect ou presque du fonctionnement cérébral - et de la vie, par conséquent ", précise-t-il. Pourquoi, alors, avoir attendu si longtemps pour écrire Musicophilia, ode vibrante au pouvoir qu'exercent sur notre espèce " ces motifs sonores dénués de signification " ? " Parce que l'imagerie cérébrale a véritablement décollé dans les années 1990, et que seule cette technique d'exploration permet de comprendre, même partiellement, notre entendement de la musique ", répond-il. Mais aussi, sans doute, parce que la vie l'a mené sur d'autres pistes.
Professeur au collège de médecine Albert-Einstein de New York pendant plus de quarante ans, médecin consultant dans de nombreux hôpitaux, cette force de la nature n'a pourtant jamais cessé d'écrire. Une " nécessité psychologique " qui ne l'a pas quitté depuis l'âge de 12 ans (" On m'appelait Inky, parce que j'avais toujours de l'encre sur les doigts "), et l'a poussé à décrire sans cesse, dans d'innombrables petits carnets noirs, " les gens, les situations, les événements ".
Pour ses lecteurs, ce fut une aubaine. Car celui qui rêvait, à 20 ans, d'écrire comme Darwin ou Freud n'a pas son pareil pour transformer des cas cliniques en personnages de roman. Pour faire comprendre de l'intérieur ce qu'endurent et ressentent les accidentés de la vie qu'une lésion cérébrale a brusquement rendus amnésiques, aphasiques ou gravement handicapés. Et pour témoigner que le retour à la vie est toujours possible.
IMAGINAIRE DE PIANISTE
Pour de nombreux médecins, parvenir au bon diagnostic signe la fin de l'histoire : pour le docteur Sacks, elle augure son commencement. " Pour les patients également, même s'ils se savent incurables, l'établissement du diagnostic est parfois le début de l'espoir. Surtout lorsque la maladie affecte leurs facultés cérébrales. " A quel point la lésion a-t-elle modifié leur vie ? Comment s'y sont-ils adaptés ? A force de les accompagner - parfois durant des décennies - dans leur nouvel état, le neurologue est devenu le témoin d'une myriade d'histoires extraordinaires. L'Eveil inspira une pièce à Harold Pinter, puis un film interprété par Robin Williams et Robert De Niro ; L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau (1985), son best-seller, fut mis en scène par Peter Brook... A force d'écouter ses malades, d'imaginer leurs expériences, de se familiariser avec leurs vécus, le docteur Sacks en a fait des héros.
Et la musique ? " Qu'elle soit joyeuse ou cathartique, elle doit agir par surprise : son pouvoir doit s'exercer aussi discrètement que celui d'une bénédiction ou d'une grâce. " S'il en parle si bien, ce n'est pas seulement parce qu'il dispose - " jusqu'à un certain point " - d'un imaginaire de pianiste. C'est aussi qu'il fut lui-même le héros involontaire d'une étrange aventure médicale.
En 1974, après une chute en montagne, le docteur Sacks perdit sans cause apparente le contrôle d'une de ses jambes. Jusqu'au jour où la musique, dans sa chambre d'hôpital, vint à son aide.
" Un ami m'avait offert la cassette du Concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn, et, ne disposant d'aucune autre musique, j'avais passé et repassé cette cassette pendant deux semaines, sans arrêt ou presque, raconte-t-il. Tout à coup, alors que j'étais debout, ce concerto monta en moi, fortissimo. La mélodie et le rythme naturel de la marche me revinrent à l'instant même, ma jambe redevenant aussitôt vivante. " Une expérience relatée dans Sur une jambe (1984), dont l'explication continue de lui échapper, mais qui lui servit par la suite pour traiter certains cas réfractaires de paralysie.
Art et médecine, sciences et lettres, clinique et théorie : tout semble faire sens dans le cerveau de cet homme-là, dont l'ouvrage préféré, Oaxaca Journal (2002, non traduit) relate un voyage au Mexique en compagnie de botanistes. Entretenant avec la psychanalyse des rapports cordiaux et suivis (" Je vais chez le même analyste depuis quarante-trois ans "), il se passionne à ses heures perdues pour la chimie des éléments rares. Trouve le temps d'écrire pour The New York Review of Books (daté du 20 novembre 2008) un long article sur Darwin. Se réjouit du cadeau que lui fit l'Union astronomique internationale en lui apprenant, le jour de ses 75 ans, qu'elle avait donné son nom à un astéroïde... Et piaffe d'impatience dans l'attente de la dernière expérience d'imagerie cérébrale à laquelle il a accepté de se prêter à l'université Columbia, où il enseigne depuis 2007 la neurologie et la psychiatrie clinique.
Sa mission ? Ecouter, déchiffrer, jouer et chanter l'Agnus Dei de Bach sous l'oeil d'un appareil IRM. Pour que soit lue comme à cortex ouvert l'émotion suscitée par cette oeuvre qu'il aime entre toutes.
Catherine Vincent
Un pouvoir inexplicable
Frappé par la foudre à 42 ans, un chirurgien devient comme possédé par la musique. Rendu totalement amnésique par une infection, un autre continue de jouer les oeuvres pour piano apprises dans sa jeunesse. Un garçon de 9 ans est la proie d'hallucinations musicales constantes, une femme se révèle sa vie durant incapable d'" entendre " la musique...
Troublants, pour ne pas dire incroyables, ces cas neurologiques - et bien d'autres - constituent la trame de Musicophilia. Tous ont pour point commun de montrer, sans l'expliquer pour autant, l'extraordinaire puissance qu'exerce la musique sur notre cerveau.
Patente dès la petite enfance, notre propension à la percevoir, de manière à la fois auditive, motrice et émotionnelle, ne semble nullement nécessaire à l'ordre du monde. Elle n'en est pas moins " si profondément enracinée dans notre humanité qu'on est tenté de la tenir pour innée ", et qu'une douzaine au moins de réseaux dispersés dans notre cerveau y seraient impliqués.
Mais cette merveilleuse machinerie est vulnérable, et soumise à toutes sortes de déformations, d'excès ou de pannes. Le neurologue nous en donne un fascinant aperçu, issu de son travail clinique et des témoignages qu'il reçoit du monde entier. S'il n'exclut pas un brin de théorie, l'ouvrage, comme les précédents, reste au plus près de la description des faits et des ressentis humains. Le pouvoir de la musique et de sa beauté n'en prend que plus de mystère.
La mélodie humaine
Livre. Balade neurologique dans le sens de la musique.
CORINNE BENSIMON - Libération - 13 janvier 2009
Musicophilia, par Oliver Sacks, Ed du Seuil 2008, 472p, 25 euros.
Tony Cicoria, chirurgien de 42 ans, a été frappé par la foudre. Il retrouve une vie normale, ou presque : il a une passion soudaine pour le piano et il entend une «musique intérieure». Mme L., elle, ne perçoit dans la musique que son rythme, à l’inverse du Che (Guevara) qui n’entendait pas le tempo et dansait un tango sur un mambo. L.R. Freedman, médecin, entend bien la musique, sa mélodie et son rythme, mais sans aucune émotion depuis son accident de vélo…
Oliver Sacks, auteur du livre, est quant à lui hanté par trois passions, outre un penchant mélomaniaque. Neurologue, il est curieux des menues expressions normales et anormales de l’émotion, de la perception et de la pensée, qui trahissent l’activité du cerveau. Ecrivain, il a l’obsession du conteur qui sait planter ses personnages sur le terreau de ses propres réflexions. Professeur, il est maître ès questionnements.
Vingt-quatre ans après avoir fait entrer les neurosciences dans l’imaginaire public avec L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (récit de cas cliniques d’adaptation à des troubles neurologiques), Oliver Sacks interroge la nature biologique du lien à la musique. Quelles facultés cérébrales recrute sa perception ? Comment son apprentissage ou son écoute modifie-t-il les autres aptitudes cognitives ? Jusqu’où la musique peut-elle adoucir les maux ? Sacks rappelle ses bienfaits, transitoires, sur des parkinsoniens. Il raconte le cas d’aphasiques qui recouvrent la parole par le chant. La musique «fait partie intégrante de notre humanité», écrit Sacks qui nous amène à contempler avec bienveillance la frontière de la normalité mentale.
http://www.liberation.fr/sciences/01013 ... ie-humaine
" La musique doit agir par surprise "
Neurologue reconnu, le Britannique n'a jamais cessé de mêler science et littérature, clinique et théorie. Son " Musicophilia " est une ode vibrante à la musique et à ses effets sur l'être humain
Le docteur Oliver Sacks découvrit le pouvoir thérapeutique de la musique alors qu'il travaillait au Beth Abraham Hospital, dans le Bronx, auprès de patients profondément immobiles. Atteintes d'encéphalite léthargique, ces statues vivantes résistaient à tout traitement médicamenteux. Mais la musique, de temps à autre, savait les animer " avec une aisance et une grâce qui semblaient démentir leur parkinsonisme ". C'était en 1966. Le jeune Britannique, qui commençait tout juste à exercer la neurologie à New York, fut fasciné par les comportements de ces malades. Au point de les décrire dans L'Eveil (Awakenings, 1973), l'ouvrage qui, dix ans plus tard, le rendrait célèbre.
La rencontre personnelle d'Oliver Sacks avec la musique est nettement plus ancienne : son père, médecin généraliste, était un fervent pianiste amateur. " Il avait toujours deux ou trois partitions sur lui, et il lui arrivait d'en extraire une de son veston entre deux consultations médicales pour s'offrir un petit concert intérieur. " Lui-même, à 75 ans, vient de se remettre au piano, sur le Bechstein de concert paternel dont il a hérité. " Je reprends même des cours, après une petite interruption de soixante-deux ans ", badine-t-il lors de notre rencontre à Londres, sa ville natale, en novembre dernier. Un passage éclair effectué pour une cause honorifique - recevoir des mains de la reine l'insigne de commandeur de l'Empire britannique -, au cours duquel son i-Pod ne le quittera guère. " Vous rendez-vous compte que cette petite chose contient tout Bach, soit 157 CD ? ", s'exclame-t-il. Pour un voyage de quelques jours, le professeur a prévu large.
" La musique a continuellement attiré mon attention à bien plus d'égards que je n'aurais pu l'imaginer, en me montrant qu'elle influe sur chaque aspect ou presque du fonctionnement cérébral - et de la vie, par conséquent ", précise-t-il. Pourquoi, alors, avoir attendu si longtemps pour écrire Musicophilia, ode vibrante au pouvoir qu'exercent sur notre espèce " ces motifs sonores dénués de signification " ? " Parce que l'imagerie cérébrale a véritablement décollé dans les années 1990, et que seule cette technique d'exploration permet de comprendre, même partiellement, notre entendement de la musique ", répond-il. Mais aussi, sans doute, parce que la vie l'a mené sur d'autres pistes.
Professeur au collège de médecine Albert-Einstein de New York pendant plus de quarante ans, médecin consultant dans de nombreux hôpitaux, cette force de la nature n'a pourtant jamais cessé d'écrire. Une " nécessité psychologique " qui ne l'a pas quitté depuis l'âge de 12 ans (" On m'appelait Inky, parce que j'avais toujours de l'encre sur les doigts "), et l'a poussé à décrire sans cesse, dans d'innombrables petits carnets noirs, " les gens, les situations, les événements ".
Pour ses lecteurs, ce fut une aubaine. Car celui qui rêvait, à 20 ans, d'écrire comme Darwin ou Freud n'a pas son pareil pour transformer des cas cliniques en personnages de roman. Pour faire comprendre de l'intérieur ce qu'endurent et ressentent les accidentés de la vie qu'une lésion cérébrale a brusquement rendus amnésiques, aphasiques ou gravement handicapés. Et pour témoigner que le retour à la vie est toujours possible.
IMAGINAIRE DE PIANISTE
Pour de nombreux médecins, parvenir au bon diagnostic signe la fin de l'histoire : pour le docteur Sacks, elle augure son commencement. " Pour les patients également, même s'ils se savent incurables, l'établissement du diagnostic est parfois le début de l'espoir. Surtout lorsque la maladie affecte leurs facultés cérébrales. " A quel point la lésion a-t-elle modifié leur vie ? Comment s'y sont-ils adaptés ? A force de les accompagner - parfois durant des décennies - dans leur nouvel état, le neurologue est devenu le témoin d'une myriade d'histoires extraordinaires. L'Eveil inspira une pièce à Harold Pinter, puis un film interprété par Robin Williams et Robert De Niro ; L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau (1985), son best-seller, fut mis en scène par Peter Brook... A force d'écouter ses malades, d'imaginer leurs expériences, de se familiariser avec leurs vécus, le docteur Sacks en a fait des héros.
Et la musique ? " Qu'elle soit joyeuse ou cathartique, elle doit agir par surprise : son pouvoir doit s'exercer aussi discrètement que celui d'une bénédiction ou d'une grâce. " S'il en parle si bien, ce n'est pas seulement parce qu'il dispose - " jusqu'à un certain point " - d'un imaginaire de pianiste. C'est aussi qu'il fut lui-même le héros involontaire d'une étrange aventure médicale.
En 1974, après une chute en montagne, le docteur Sacks perdit sans cause apparente le contrôle d'une de ses jambes. Jusqu'au jour où la musique, dans sa chambre d'hôpital, vint à son aide.
" Un ami m'avait offert la cassette du Concerto pour violon en mi mineur de Mendelssohn, et, ne disposant d'aucune autre musique, j'avais passé et repassé cette cassette pendant deux semaines, sans arrêt ou presque, raconte-t-il. Tout à coup, alors que j'étais debout, ce concerto monta en moi, fortissimo. La mélodie et le rythme naturel de la marche me revinrent à l'instant même, ma jambe redevenant aussitôt vivante. " Une expérience relatée dans Sur une jambe (1984), dont l'explication continue de lui échapper, mais qui lui servit par la suite pour traiter certains cas réfractaires de paralysie.
Art et médecine, sciences et lettres, clinique et théorie : tout semble faire sens dans le cerveau de cet homme-là, dont l'ouvrage préféré, Oaxaca Journal (2002, non traduit) relate un voyage au Mexique en compagnie de botanistes. Entretenant avec la psychanalyse des rapports cordiaux et suivis (" Je vais chez le même analyste depuis quarante-trois ans "), il se passionne à ses heures perdues pour la chimie des éléments rares. Trouve le temps d'écrire pour The New York Review of Books (daté du 20 novembre 2008) un long article sur Darwin. Se réjouit du cadeau que lui fit l'Union astronomique internationale en lui apprenant, le jour de ses 75 ans, qu'elle avait donné son nom à un astéroïde... Et piaffe d'impatience dans l'attente de la dernière expérience d'imagerie cérébrale à laquelle il a accepté de se prêter à l'université Columbia, où il enseigne depuis 2007 la neurologie et la psychiatrie clinique.
Sa mission ? Ecouter, déchiffrer, jouer et chanter l'Agnus Dei de Bach sous l'oeil d'un appareil IRM. Pour que soit lue comme à cortex ouvert l'émotion suscitée par cette oeuvre qu'il aime entre toutes.
Catherine Vincent
Un pouvoir inexplicable
Frappé par la foudre à 42 ans, un chirurgien devient comme possédé par la musique. Rendu totalement amnésique par une infection, un autre continue de jouer les oeuvres pour piano apprises dans sa jeunesse. Un garçon de 9 ans est la proie d'hallucinations musicales constantes, une femme se révèle sa vie durant incapable d'" entendre " la musique...
Troublants, pour ne pas dire incroyables, ces cas neurologiques - et bien d'autres - constituent la trame de Musicophilia. Tous ont pour point commun de montrer, sans l'expliquer pour autant, l'extraordinaire puissance qu'exerce la musique sur notre cerveau.
Patente dès la petite enfance, notre propension à la percevoir, de manière à la fois auditive, motrice et émotionnelle, ne semble nullement nécessaire à l'ordre du monde. Elle n'en est pas moins " si profondément enracinée dans notre humanité qu'on est tenté de la tenir pour innée ", et qu'une douzaine au moins de réseaux dispersés dans notre cerveau y seraient impliqués.
Mais cette merveilleuse machinerie est vulnérable, et soumise à toutes sortes de déformations, d'excès ou de pannes. Le neurologue nous en donne un fascinant aperçu, issu de son travail clinique et des témoignages qu'il reçoit du monde entier. S'il n'exclut pas un brin de théorie, l'ouvrage, comme les précédents, reste au plus près de la description des faits et des ressentis humains. Le pouvoir de la musique et de sa beauté n'en prend que plus de mystère.
La mélodie humaine
Livre. Balade neurologique dans le sens de la musique.
CORINNE BENSIMON - Libération - 13 janvier 2009
Musicophilia, par Oliver Sacks, Ed du Seuil 2008, 472p, 25 euros.
Tony Cicoria, chirurgien de 42 ans, a été frappé par la foudre. Il retrouve une vie normale, ou presque : il a une passion soudaine pour le piano et il entend une «musique intérieure». Mme L., elle, ne perçoit dans la musique que son rythme, à l’inverse du Che (Guevara) qui n’entendait pas le tempo et dansait un tango sur un mambo. L.R. Freedman, médecin, entend bien la musique, sa mélodie et son rythme, mais sans aucune émotion depuis son accident de vélo…
Oliver Sacks, auteur du livre, est quant à lui hanté par trois passions, outre un penchant mélomaniaque. Neurologue, il est curieux des menues expressions normales et anormales de l’émotion, de la perception et de la pensée, qui trahissent l’activité du cerveau. Ecrivain, il a l’obsession du conteur qui sait planter ses personnages sur le terreau de ses propres réflexions. Professeur, il est maître ès questionnements.
Vingt-quatre ans après avoir fait entrer les neurosciences dans l’imaginaire public avec L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (récit de cas cliniques d’adaptation à des troubles neurologiques), Oliver Sacks interroge la nature biologique du lien à la musique. Quelles facultés cérébrales recrute sa perception ? Comment son apprentissage ou son écoute modifie-t-il les autres aptitudes cognitives ? Jusqu’où la musique peut-elle adoucir les maux ? Sacks rappelle ses bienfaits, transitoires, sur des parkinsoniens. Il raconte le cas d’aphasiques qui recouvrent la parole par le chant. La musique «fait partie intégrante de notre humanité», écrit Sacks qui nous amène à contempler avec bienveillance la frontière de la normalité mentale.
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article du Monde 2
Un article intéressant sur Oliver Sacks publié dans le Monde2
OLIVER SACKS, LA PUISSANCE THERAPEUTIQUE DE LA MUSIQUE ET “LA NEUROLOGIE ROMANTIQUE”
http://fredericjoignot.blog.lemonde.fr/ ... tentielle/
et : La plasticité et l’adaptation du cerveau humain décrite par une neurobiologiste de l’Institut Pasteur
OLIVER SACKS, LA PUISSANCE THERAPEUTIQUE DE LA MUSIQUE ET “LA NEUROLOGIE ROMANTIQUE”
http://fredericjoignot.blog.lemonde.fr/ ... tentielle/
et : La plasticité et l’adaptation du cerveau humain décrite par une neurobiologiste de l’Institut Pasteur
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Merci Jean,
Je suis assez perplexe, ce soir on a regardé les videos que ma fille a fait en Irelande, avec beaucoup de musique et memes des danses dans les Bars. J'en ai assisté aussi a certains.
Je me suis rendue compte (j'avais BM et la famille Bretonne) que les Irlandais ont pris le bruit des sabots Bretons, les pas et les chaussons Ecossais, et ont fait leur "truc".
Loic a decroché rapidement, et le mari n'a pas compris qu'ils continuent a danser quand les pas sont si semblable toujours.
Je ne savais pas comment decrire la sensation de la musique avec les jambes (le haut de corps ne bouge rarement dans les "jigs" Iralandais)
c'est envoutant!
Encore plus bizarre, est que ma fille autant desenchanté par l'experience d'echange, a eté obnubilé par la musique et la danse!
Je suis assez perplexe, ce soir on a regardé les videos que ma fille a fait en Irelande, avec beaucoup de musique et memes des danses dans les Bars. J'en ai assisté aussi a certains.
Je me suis rendue compte (j'avais BM et la famille Bretonne) que les Irlandais ont pris le bruit des sabots Bretons, les pas et les chaussons Ecossais, et ont fait leur "truc".
Loic a decroché rapidement, et le mari n'a pas compris qu'ils continuent a danser quand les pas sont si semblable toujours.
Je ne savais pas comment decrire la sensation de la musique avec les jambes (le haut de corps ne bouge rarement dans les "jigs" Iralandais)
c'est envoutant!
Encore plus bizarre, est que ma fille autant desenchanté par l'experience d'echange, a eté obnubilé par la musique et la danse!
Suzanne, la vieille qui blatere, maman de Loic 29 ans
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Pourquoi croit-on ?
Neurosciences n'est pas le bon terme. Ici, il s'agit de psychologie expérimentale :
Pourquoi croit-on ?
Ce qu'en dit la psychologie expérimentale
Lorsque les psychologues ont abordé la question par la méthode expérimentale, ils ont découvert toutes sortes de processus mentaux qui « conspirent» pour nous détourner des croyances claires et fondées. En voici quelques exemples:
L'effet de consensus. Les gens tendent à aligner leur perception d'une scène sur ce qu'en disent les autres; si, par exemple, on leur montre un visage avec une expression de colère mais que les gens autour d'eux affirment que c'est une moue de dégoût, ils affirmeront eux aussi que c'est une expression de dégoût.
L'effet de faux consensus. C'est l'effet inverse, la tendance à penser que nos impressions sont partagées par les autres, que les émotions ressenties par les témoins d'une scène, par exemple, sont semblables aux nôtres.
L'effet de génération. L'information que l'on crée soi-même est souvent mieux mémorisée que celle qui est perçue. Dans la description d'une scène imaginaire, on retiendra mieux les détails que l'on a soi-même suggérés que ceux qui ont été
inventés par d'autres.
Les illusions mnésiques. On peut créer très facilement de faux souvenirs; les gens ont la certitude intuitive qu'ils ont effectivement entendu ou vu telle chose alors qu'ils l'ont imaginée. Autre exemple: à force d'imaginer que l'on accomplit une certaine action on finit par se persuader, après un grand nombre de répétitions, que l'on a effectivement accompli cette action.
La confusion des sources. Dans certaines circonstances, les gens ne savent plus très bien d'où provient une information (l'ont-ils déduite eux-mêmes ou l'ont-ils apprise de quelqu'un d'autre? Ont-ils vu, entendu, ou lu cela ?), ce qui rend d'autant plus difficile d'évaluer cette information.
Le biais de confirmation. Dès lors que l'on envisage une hypothèse, on a tendance à remarquer et à mémoriser tout ce qui semble la confirmer, mais on remarque beaucoup moins bien ce qui pourrait la réfuter. Les éléments positifs nous rappellent l'hypothèse et sont donc retenus comme preuves; les éléments négatifs ne nous rappellent pas l'hypothèse et ne sont donc pas pris en compte.
La réduction de la dissonance cognitive. Nous avons tendance à réajuster le souvenir de nos croyances et impressions à la lumière de notre expérience. Si, à cause d'une information nouvelle, nous nous faisons une certaine opinion à propos d'une personne, nous aurons tendance à penser que c'était notre opinion depuis le début, même si en fait nous pensions le contraire.
Cette liste n'est nullement exhaustive. La littérature expérimentale fourmille d'entorses au raisonnement normatif, à la façon dont nous devrions penser pour être cohérents, efficaoes.
Pascal Boyer, Et l'homme créa les dieux, page 437, chapitre « Pourquoi croit-on? »
Science et pseudo-sciences no 284, janvier 2009 (p.28 )
Commentaire sur ce livre
Pourquoi croit-on ?
Ce qu'en dit la psychologie expérimentale
Lorsque les psychologues ont abordé la question par la méthode expérimentale, ils ont découvert toutes sortes de processus mentaux qui « conspirent» pour nous détourner des croyances claires et fondées. En voici quelques exemples:
L'effet de consensus. Les gens tendent à aligner leur perception d'une scène sur ce qu'en disent les autres; si, par exemple, on leur montre un visage avec une expression de colère mais que les gens autour d'eux affirment que c'est une moue de dégoût, ils affirmeront eux aussi que c'est une expression de dégoût.
L'effet de faux consensus. C'est l'effet inverse, la tendance à penser que nos impressions sont partagées par les autres, que les émotions ressenties par les témoins d'une scène, par exemple, sont semblables aux nôtres.
L'effet de génération. L'information que l'on crée soi-même est souvent mieux mémorisée que celle qui est perçue. Dans la description d'une scène imaginaire, on retiendra mieux les détails que l'on a soi-même suggérés que ceux qui ont été
inventés par d'autres.
Les illusions mnésiques. On peut créer très facilement de faux souvenirs; les gens ont la certitude intuitive qu'ils ont effectivement entendu ou vu telle chose alors qu'ils l'ont imaginée. Autre exemple: à force d'imaginer que l'on accomplit une certaine action on finit par se persuader, après un grand nombre de répétitions, que l'on a effectivement accompli cette action.
La confusion des sources. Dans certaines circonstances, les gens ne savent plus très bien d'où provient une information (l'ont-ils déduite eux-mêmes ou l'ont-ils apprise de quelqu'un d'autre? Ont-ils vu, entendu, ou lu cela ?), ce qui rend d'autant plus difficile d'évaluer cette information.
Le biais de confirmation. Dès lors que l'on envisage une hypothèse, on a tendance à remarquer et à mémoriser tout ce qui semble la confirmer, mais on remarque beaucoup moins bien ce qui pourrait la réfuter. Les éléments positifs nous rappellent l'hypothèse et sont donc retenus comme preuves; les éléments négatifs ne nous rappellent pas l'hypothèse et ne sont donc pas pris en compte.
La réduction de la dissonance cognitive. Nous avons tendance à réajuster le souvenir de nos croyances et impressions à la lumière de notre expérience. Si, à cause d'une information nouvelle, nous nous faisons une certaine opinion à propos d'une personne, nous aurons tendance à penser que c'était notre opinion depuis le début, même si en fait nous pensions le contraire.
Cette liste n'est nullement exhaustive. La littérature expérimentale fourmille d'entorses au raisonnement normatif, à la façon dont nous devrions penser pour être cohérents, efficaoes.
Pascal Boyer, Et l'homme créa les dieux, page 437, chapitre « Pourquoi croit-on? »
Science et pseudo-sciences no 284, janvier 2009 (p.28 )
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pages intéressantes (à mon avis) sur le cerveau objet technologique :
http://www.internetactu.net/2009/01/07/ ... e-cerveau/
http://www.internetactu.net/2009/01/13/ ... -du-monde/
http://www.internetactu.net/2009/01/20/ ... -decision/
http://www.internetactu.net/2009/02/03/ ... de-penser/
http://www.internetactu.net/2009/02/12/ ... -en-avoir/
http://www.internetactu.net/2009/01/07/ ... e-cerveau/
http://www.internetactu.net/2009/01/13/ ... -du-monde/
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http://www.internetactu.net/2009/02/03/ ... de-penser/
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Nouvel Obs
Pourquoi tant d'empathie ?
Dans les années 1990, une équipe de l'Université de Parme animée par Giacomo Rizzolatti a découvert, chez le macaque, une catégorie spéciale de neurones du cortex moteur associés aux mouvements de la main et de la bouche (1). Ils s'activent lorsque le singe exécute une action motrice telle qu'attraper un fruit ou une cacahuète. Mais aussi, ce qui est plus inattendu, lorsque l'animal voit un congénère exécuter la même action. Autrement dit, ces neurones semblent refléter, dans le cerveau de l'animal qui observe, l'action réalisée par l'autre. C'est pourquoi Rizzolatti les a appelés «neurones miroirs».
Les chercheurs italiens ont découvert que les neurones miroirs réagissaient non seulement à l'observation directe de la scène, mais à une perception partielle de celle-ci : le bruit d'une cacahuète que l'on écrase suffira à les activer. Ils sont même sensibles à une représentation imaginaire : si le singe voit un homme attraper la cacahuète et qu'on place un écran de sorte que la suite de la scène soit cachée, les neurones miroirs continuent de «s'allumer». Selon Rizzolatti, les humains possèdent des systèmes de neurones miroirs qui joueraient un rôle clé dans notre capacité à ressentir de l'empathie et à partager les sensations des autres. C'est ce que semble démontrer une expérience réalisée par l'équipe italienne avec celle de Bruno Wicker (Institut de Neurosciences cognitives de la Méditerranée, Marseille). On demande à des sujets d'inhaler une substance dont l'odeur les dégoûte. On observe alors que certains neurones miroirs d'une aire cérébrale appelée l'insula sont activés. Ils réagissent aussi quand les sujets observent une vidéo montrant des visages exprimant le dégoût. Par le biais des neurones miroirs, l'observateur et la personne observée partagent la même expérience : je me dégoûte avec ton insula, et vice versa. Cette faculté d'empathie est défaillante ou absente chez les sujets autistes, dont les neurones miroirs aideront peut-être à élucider la pathologie.
(1)«Les Neurones miroirs», par Giacomo Rizzolatti et al, dans la revue «Pour la science», janvier 2007.
Michel de Pracontal - Le Nouvel Observateur - 5 mars 2009
A quoi servent les émotions ? - Voyage au centre du cerveau
J'ai la mémoire qui flanche...
La neuroéconomie, antidote au krach boursier
Dans les années 1990, une équipe de l'Université de Parme animée par Giacomo Rizzolatti a découvert, chez le macaque, une catégorie spéciale de neurones du cortex moteur associés aux mouvements de la main et de la bouche (1). Ils s'activent lorsque le singe exécute une action motrice telle qu'attraper un fruit ou une cacahuète. Mais aussi, ce qui est plus inattendu, lorsque l'animal voit un congénère exécuter la même action. Autrement dit, ces neurones semblent refléter, dans le cerveau de l'animal qui observe, l'action réalisée par l'autre. C'est pourquoi Rizzolatti les a appelés «neurones miroirs».
Les chercheurs italiens ont découvert que les neurones miroirs réagissaient non seulement à l'observation directe de la scène, mais à une perception partielle de celle-ci : le bruit d'une cacahuète que l'on écrase suffira à les activer. Ils sont même sensibles à une représentation imaginaire : si le singe voit un homme attraper la cacahuète et qu'on place un écran de sorte que la suite de la scène soit cachée, les neurones miroirs continuent de «s'allumer». Selon Rizzolatti, les humains possèdent des systèmes de neurones miroirs qui joueraient un rôle clé dans notre capacité à ressentir de l'empathie et à partager les sensations des autres. C'est ce que semble démontrer une expérience réalisée par l'équipe italienne avec celle de Bruno Wicker (Institut de Neurosciences cognitives de la Méditerranée, Marseille). On demande à des sujets d'inhaler une substance dont l'odeur les dégoûte. On observe alors que certains neurones miroirs d'une aire cérébrale appelée l'insula sont activés. Ils réagissent aussi quand les sujets observent une vidéo montrant des visages exprimant le dégoût. Par le biais des neurones miroirs, l'observateur et la personne observée partagent la même expérience : je me dégoûte avec ton insula, et vice versa. Cette faculté d'empathie est défaillante ou absente chez les sujets autistes, dont les neurones miroirs aideront peut-être à élucider la pathologie.
(1)«Les Neurones miroirs», par Giacomo Rizzolatti et al, dans la revue «Pour la science», janvier 2007.
Michel de Pracontal - Le Nouvel Observateur - 5 mars 2009
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neurones miroirs
Ce thème des neurones miroirs m'a fait voyager sur le site de "Pour la Science". J'y trouve quelques documents intéressants :
La substance – ou matière – grise est le lieu des opérations mentales et du stockage des informations. C'est la couche externe du cerveau ou cortex ; elle est composée d'un grand nombre de corps cellulaires neuronaux – les régions des neurones qui intègrent des informations. Mais en dessous, il existe un socle de substance blanche qui remplit près de la moitié du cerveau humain – une proportion beaucoup plus élevée que dans le cerveau d'autres animaux.
Qu'est-ce que la substance blanche ? Ce sont des millions de câbles de communication, chacun contenant un long fil unique, ou axone, entouré d'une substance grasse blanche, nommée myéline. À l'instar des lignes qui connectent les téléphones de différentes villes, ces câbles blancs relient les neurones d'une région du cerveau à une autre.
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/f ... -18291.php
- L’anatomie de l’autisme
Enregistrer l’activité cérébrale
La théorie du paysage émotionnel
Refléter la réalité
Comprendre l’intention d’autrui
Le cortex
Les zones cérébrales du mime
La substance blanche
La substance – ou matière – grise est le lieu des opérations mentales et du stockage des informations. C'est la couche externe du cerveau ou cortex ; elle est composée d'un grand nombre de corps cellulaires neuronaux – les régions des neurones qui intègrent des informations. Mais en dessous, il existe un socle de substance blanche qui remplit près de la moitié du cerveau humain – une proportion beaucoup plus élevée que dans le cerveau d'autres animaux.
Qu'est-ce que la substance blanche ? Ce sont des millions de câbles de communication, chacun contenant un long fil unique, ou axone, entouré d'une substance grasse blanche, nommée myéline. À l'instar des lignes qui connectent les téléphones de différentes villes, ces câbles blancs relient les neurones d'une région du cerveau à une autre.
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/f ... -18291.php
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Empathei et neurones miroirs
Empathie : la fin des neurones miroirs ?
Ressentir la souffrance physique d'autrui passe par les neurones miroirs, mais aussi par l'évaluation d'une douleur morale.
Sébastien Bohler
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages ... -20935.php
Ressentir la souffrance physique d'autrui passe par les neurones miroirs, mais aussi par l'évaluation d'une douleur morale.
Sébastien Bohler
http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages ... -20935.php
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cerveau objet technologique
suite de la série sur le cerveau objet technologique :
http://www.internetactu.net/2009/03/11/ ... -lumieres/
http://www.internetactu.net/2009/03/26/ ... s-tout-ca/
http://www.internetactu.net/2009/04/08/ ... u-cerveau/
et sur le même site :
http://www.internetactu.net/2009/03/11/ ... -lumieres/
http://www.internetactu.net/2009/03/26/ ... s-tout-ca/
http://www.internetactu.net/2009/04/08/ ... u-cerveau/
et sur le même site :
http://www.internetactu.net/2009/01/12/ ... e-cerveau/Quand on se promène en ville, notre cerveau, toujours à la recherche de menaces potentielles, doit gérer les multiples stimuli liés à la circulation et à la vie urbaine. La gestion de telles tâches mentales, apparemment anodines, a tendance à nous épuiser, car elle exploite l’un des principaux points faibles du cerveau : sa capacité de concentration. Une ville est si débordante de stimuli que nous devons constamment rediriger notre attention pour ne pas être distraits par des choses sans importance comme une enseigne clignotante ou des bribes de conversations. “L’esprit est comme un puissant super-ordinateur, mais le fait de prêter attention consomme une grande partie de sa puissance de traitement.”
La vie en milieu naturel en revanche ne nécessite pas la même quantité d’effort cognitif. En fait, les milieux naturels sont tout autant remplis d’objets qui capturent notre attention, mais qui ne déclenchent pas de réponse émotionnelle négative (contrairement à une voiture ou à une foule de piétons) ce qui fait que le mécanisme mental qui dirige l’attention peut se détendre en profondeur.
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superbe site sur le cerveau à tous les niveaux, un site interactif
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/index_d.html
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Une critique de "Musicophilia" dans la revue de l'AFIS.
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1190
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Re: Neurosciences
Le sentiment à l’heure des technologies
http://www.internetactu.net/2010/03/04/ ... hnologies/
Des nouvelles technologies qui devraient permettre de mieux analyser les émotions, et donc de faciliter les recherches.
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Des nouvelles technologies qui devraient permettre de mieux analyser les émotions, et donc de faciliter les recherches.
père autiste d'une fille autiste "Asperger" de 41 ans
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Re: Neurosciences
Des animaux doués d’empathie
C’est une scène de la vie ordinaire. Une aveugle, désorientée, cherche son chemin. Une voyante vient à son secours, la guidant de la voix. L’infirme la remercie par de bruyantes effusions. Scène ordinaire, à cela près qu’elle se passe en Thaïlande, dans un parc naturel, et que les deux protagonistes sont des éléphantes. Cet exemple est l’un de ceux dont fourmille le nouveau livre de l’éthologue Frans de Waal, spécialiste des primates et professeur de psychologie à Atlanta (Géorgie). Intitulée L’Age de l’empathie, cette passionnante leçon de choses, bousculant les frontières entre l’homme et l’animal, est aussi un plaidoyer pour le « vivre-ensemble » à l’usage de nos sociétés.
« La cupidité a vécu, l’empathie est de mise, proclame l’auteur. Il nous faut entièrement réviser nos hypothèses sur la nature humaine. » A ceux, économistes ou responsables politiques, qui la croient régie par la seule lutte pour la survie - et, selon l’interprétation dévoyée que le darwinisme social a donnée de la théorie de l’évolution, par la sélection des individus les plus performants -, il oppose un autre principe, tout aussi actif que la compétition : l’empathie. C’est-à-dire la sensibilité aux émotions de l’autre. Une faculté compassionnelle qui, loin d’être l’apanage de l’homme, est partagée par de nombreux mammifères, à commencer par les primates, les éléphants et les dauphins. Et qui, de surcroît, est vieille comme le monde.
Dans ses formes les plus rudimentaires, ou les plus archaïques, elle se manifeste par l’imitation, ou la synchronisation des comportements : de même que nous applaudissons sur le même tempo que nos voisins à la fin d’un concert, que deux promeneurs accordent la longueur de leurs pas, ou que des vieux époux finissent par se ressembler, un attelage de chiens de traîneau se meut comme un corps unique, un chimpanzé baille à la vue d’un congénère se décrochant la mâchoire, et rit quand l’autre s’esclaffe. Mieux, cette contagion franchit la barrière des espèces : ainsi un singe rhésus bébé reproduit-il les mouvements de la bouche d’un expérimentateur humain.
Mais l’empathie a des expressions plus élaborées. Dans le parc national de Thaï, en Côte d’Ivoire, des chimpanzés ont été observés léchant le sang de compagnons attaqués par des léopards, et ralentissant l’allure pour permettre aux blessés de suivre le groupe. Dans la même communauté ont été décrits plusieurs cas d’adoption d’orphelins par des adultes femelles, mais aussi par des mâles. Une sollicitude qui peut sembler naturelle pour des animaux sociaux, qui trouvent un intérêt collectif à coopérer.
Comment l’expliquer, toutefois, lorsque l’individu n’a rien à gagner à un comportement empathique, qui devient alors proprement altruiste ? Une expérience a montré que des singes rhésus refusaient, plusieurs jours durant, de tirer sur une chaîne libérant de la nourriture si cette action envoyait une décharge électrique à un compagnon dont ils voyaient les convulsions. Préférant ainsi endurer la faim qu’assister à la souffrance d’un semblable.
Autoprotection contre un spectacle dérangeant ? Mais pourquoi, alors, un singe capucin de laboratoire ayant le choix entre deux jetons de couleurs différentes, dont l’un lui vaut un morceau de pomme tandis que l’autre garantit également cette récompense à un partenaire, opte-t-il pour le jeton assurant une gratification commune ? Mieux, pourquoi un chimpanzé ouvre-t-il une porte dont il sait qu’elle donnera accès à de la nourriture à un congénère, mais pas à lui-même ?
Pour Frans de Wall, la réponse tient en un mot : l’empathie, précisément, ou le souci du bien-être d’autrui. Même lorsque cet autre n’appartient pas à la même espèce que soi. On a vu, dans un zoo, une tigresse du Bengale nourrir des porcelets. Un bonobo hisser un oiseau inanimé au sommet d’un arbre pour tenter de le faire voler. Ou un chimpanzé remettre à l’eau un caneton malmené par de jeunes singes.
Dans ses formes les plus simples, la « sympathie » animale - terme employé par Darwin lui-même - ne mobilise nullement des capacités cognitives complexes, réputées propres à l’homme. Elle met en jeu, décrit l’éthologue, de purs mécanismes émotionnels. Des souris se montrent ainsi plus sensibles à la douleur quand elles ont vu souffrir d’autres souris dont elles sont familières. En revanche, des processus cognitifs entrent en jeu pour des modes de compassion plus complexes, nécessitant de se mettre à la place de l’autre. Comme lorsqu’un chimpanzé délaisse ses occupations pour venir réconforter un congénère molesté lors d’une rixe.
La compassion prendrait ses racines dans un processus évolutif lointain, à une période bien antérieure à l’espèce humaine, avec l’apparition des soins parentaux. « Pendant 200 millions d’années d’évolution des mammifères, les femelles sensibles à leur progéniture se reproduisirent davantage que les femelles froides et distantes. Il s’est sûrement exercé une incroyable pression de sélection sur cette sensibilité », suppose le chercheur. Voilà pourquoi les mammifères, dont les petits, allaités, réclament plus d’attention que ceux d’autres animaux, seraient les plus doués d’empathie. Et les femelles davantage que les mâles. Un trait que partageaient peut-être les derniers grands reptiles. Ce qui expliquerait pourquoi certains oiseaux - probables descendants des dinosaures - semblent eux aussi faire preuve de commisération. Le rythme cardiaque d’une oie femelle s’accélère ainsi, battant la chamade, quand son mâle est pris à partie par un autre palmipède.
L’éthologue ne verse pas pour autant dans l’angélisme. Comme pour les autres animaux, « il existe chez l’homme un penchant naturel à la compétition et à l’agressivité ». Mais sa propension à la compassion est « tout aussi naturelle ». Reste que l’empathie n’est pas toujours vertueuse. C’est aussi sur la capacité à ressentir les émotions d’autrui que se fondent la cruauté et la torture.
* « L’Age de l’empathie, leçons de la nature pour une société solidaire », éditions Les liens qui libèrent, 2010, 392 p., 22,50 euros.
Pierre Le Hir * Article paru dans le Monde, édition du 27.02.10.
C’est une scène de la vie ordinaire. Une aveugle, désorientée, cherche son chemin. Une voyante vient à son secours, la guidant de la voix. L’infirme la remercie par de bruyantes effusions. Scène ordinaire, à cela près qu’elle se passe en Thaïlande, dans un parc naturel, et que les deux protagonistes sont des éléphantes. Cet exemple est l’un de ceux dont fourmille le nouveau livre de l’éthologue Frans de Waal, spécialiste des primates et professeur de psychologie à Atlanta (Géorgie). Intitulée L’Age de l’empathie, cette passionnante leçon de choses, bousculant les frontières entre l’homme et l’animal, est aussi un plaidoyer pour le « vivre-ensemble » à l’usage de nos sociétés.
« La cupidité a vécu, l’empathie est de mise, proclame l’auteur. Il nous faut entièrement réviser nos hypothèses sur la nature humaine. » A ceux, économistes ou responsables politiques, qui la croient régie par la seule lutte pour la survie - et, selon l’interprétation dévoyée que le darwinisme social a donnée de la théorie de l’évolution, par la sélection des individus les plus performants -, il oppose un autre principe, tout aussi actif que la compétition : l’empathie. C’est-à-dire la sensibilité aux émotions de l’autre. Une faculté compassionnelle qui, loin d’être l’apanage de l’homme, est partagée par de nombreux mammifères, à commencer par les primates, les éléphants et les dauphins. Et qui, de surcroît, est vieille comme le monde.
Dans ses formes les plus rudimentaires, ou les plus archaïques, elle se manifeste par l’imitation, ou la synchronisation des comportements : de même que nous applaudissons sur le même tempo que nos voisins à la fin d’un concert, que deux promeneurs accordent la longueur de leurs pas, ou que des vieux époux finissent par se ressembler, un attelage de chiens de traîneau se meut comme un corps unique, un chimpanzé baille à la vue d’un congénère se décrochant la mâchoire, et rit quand l’autre s’esclaffe. Mieux, cette contagion franchit la barrière des espèces : ainsi un singe rhésus bébé reproduit-il les mouvements de la bouche d’un expérimentateur humain.
Mais l’empathie a des expressions plus élaborées. Dans le parc national de Thaï, en Côte d’Ivoire, des chimpanzés ont été observés léchant le sang de compagnons attaqués par des léopards, et ralentissant l’allure pour permettre aux blessés de suivre le groupe. Dans la même communauté ont été décrits plusieurs cas d’adoption d’orphelins par des adultes femelles, mais aussi par des mâles. Une sollicitude qui peut sembler naturelle pour des animaux sociaux, qui trouvent un intérêt collectif à coopérer.
Comment l’expliquer, toutefois, lorsque l’individu n’a rien à gagner à un comportement empathique, qui devient alors proprement altruiste ? Une expérience a montré que des singes rhésus refusaient, plusieurs jours durant, de tirer sur une chaîne libérant de la nourriture si cette action envoyait une décharge électrique à un compagnon dont ils voyaient les convulsions. Préférant ainsi endurer la faim qu’assister à la souffrance d’un semblable.
Autoprotection contre un spectacle dérangeant ? Mais pourquoi, alors, un singe capucin de laboratoire ayant le choix entre deux jetons de couleurs différentes, dont l’un lui vaut un morceau de pomme tandis que l’autre garantit également cette récompense à un partenaire, opte-t-il pour le jeton assurant une gratification commune ? Mieux, pourquoi un chimpanzé ouvre-t-il une porte dont il sait qu’elle donnera accès à de la nourriture à un congénère, mais pas à lui-même ?
Pour Frans de Wall, la réponse tient en un mot : l’empathie, précisément, ou le souci du bien-être d’autrui. Même lorsque cet autre n’appartient pas à la même espèce que soi. On a vu, dans un zoo, une tigresse du Bengale nourrir des porcelets. Un bonobo hisser un oiseau inanimé au sommet d’un arbre pour tenter de le faire voler. Ou un chimpanzé remettre à l’eau un caneton malmené par de jeunes singes.
Dans ses formes les plus simples, la « sympathie » animale - terme employé par Darwin lui-même - ne mobilise nullement des capacités cognitives complexes, réputées propres à l’homme. Elle met en jeu, décrit l’éthologue, de purs mécanismes émotionnels. Des souris se montrent ainsi plus sensibles à la douleur quand elles ont vu souffrir d’autres souris dont elles sont familières. En revanche, des processus cognitifs entrent en jeu pour des modes de compassion plus complexes, nécessitant de se mettre à la place de l’autre. Comme lorsqu’un chimpanzé délaisse ses occupations pour venir réconforter un congénère molesté lors d’une rixe.
La compassion prendrait ses racines dans un processus évolutif lointain, à une période bien antérieure à l’espèce humaine, avec l’apparition des soins parentaux. « Pendant 200 millions d’années d’évolution des mammifères, les femelles sensibles à leur progéniture se reproduisirent davantage que les femelles froides et distantes. Il s’est sûrement exercé une incroyable pression de sélection sur cette sensibilité », suppose le chercheur. Voilà pourquoi les mammifères, dont les petits, allaités, réclament plus d’attention que ceux d’autres animaux, seraient les plus doués d’empathie. Et les femelles davantage que les mâles. Un trait que partageaient peut-être les derniers grands reptiles. Ce qui expliquerait pourquoi certains oiseaux - probables descendants des dinosaures - semblent eux aussi faire preuve de commisération. Le rythme cardiaque d’une oie femelle s’accélère ainsi, battant la chamade, quand son mâle est pris à partie par un autre palmipède.
L’éthologue ne verse pas pour autant dans l’angélisme. Comme pour les autres animaux, « il existe chez l’homme un penchant naturel à la compétition et à l’agressivité ». Mais sa propension à la compassion est « tout aussi naturelle ». Reste que l’empathie n’est pas toujours vertueuse. C’est aussi sur la capacité à ressentir les émotions d’autrui que se fondent la cruauté et la torture.
* « L’Age de l’empathie, leçons de la nature pour une société solidaire », éditions Les liens qui libèrent, 2010, 392 p., 22,50 euros.
Pierre Le Hir * Article paru dans le Monde, édition du 27.02.10.
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Re: Neurosciences
Des rouages biologiques mal connus
LE MONDE | 27.02.10
Sujet longtemps tabou, l'empathie animale fait aujourd'hui l'objet de nombreuses recherches, portant notamment sur ses mécanismes neurobiologiques. Rien de commun, en effet, avec le jeu des phéromones qui règle la vie des insectes sociaux comme les abeilles ou les fourmis. Ni même avec le bénéfice coopératif qui pousse les loups à chasser en meute, ou les poissons à se regrouper en banc pour échapper à leurs prédateurs.
Dans les formes les plus élaborées d'empathie, supposant que le sujet adopte le point de vue de l'autre, Frans de Waal fait l'hypothèse de la "coémergence" de facultés cognitives complexes, dont la pierre de touche est l'aptitude à se reconnaître dans un miroir. Une capacité qu'acquièrent les petits d'homme vers l'âge de 2 ans, et que possèdent aussi les grands singes, comme les chimpanzés ou les bonobos. Mais dont sont dépourvus les petits singes, les chiens ou les chats.
Des expériences ont mis en évidence que les dauphins passent davantage de temps devant leur reflet lorsqu'une marque a été dessinée sur leur corps, alors qu'ils se désintéressent de l'image d'autres dauphins pareillement marqués. Signe qu'eux aussi se reconnaissent. Des éléphants d'un zoo new-yorkais ont également passé, avec succès, le test du miroir. "La conscience de soi va de pair avec une forme poussée d'empathie", suggère le chercheur.
Cette double conscience, de soi et de l'autre, pourrait être liée à des cellules nerveuses particulières, les neurones von Economo (du nom du neurologue autrichien qui les a découverts), présentes en petit nombre dans le cerveau des hominidés, c'est-à-dire des humains et des grands singes, mais absentes chez les autres primates. En effet, une lésion des régions cervicales abritant ces neurones provoque, chez l'homme, une perte de certaines facultés, dont, précisément, l'empathie et la reconnaissance dans un miroir. Or, récemment, les mêmes cellules nerveuses ont été trouvées chez deux autres espèces de mammifères, les dauphins et les éléphants. Le lien entre ces neurones et l'empathie demeure toutefois spéculatif.
Autre piste : les neurones miroirs, activés non seulement quand un individu accomplit une action (comme tendre le bras vers un objet), mais aussi lorsqu'il voit un autre individu exécuter le même geste. Ces éléments du système nerveux, découverts dans les années 1990 chez les petits singes comme les macaques, semblent ainsi jouer un rôle dans les relations sociales et les processus affectifs. Mais leur présence chez l'homme n'est pas démontrée.
Pierre Le Hir
LE MONDE | 27.02.10
Sujet longtemps tabou, l'empathie animale fait aujourd'hui l'objet de nombreuses recherches, portant notamment sur ses mécanismes neurobiologiques. Rien de commun, en effet, avec le jeu des phéromones qui règle la vie des insectes sociaux comme les abeilles ou les fourmis. Ni même avec le bénéfice coopératif qui pousse les loups à chasser en meute, ou les poissons à se regrouper en banc pour échapper à leurs prédateurs.
Dans les formes les plus élaborées d'empathie, supposant que le sujet adopte le point de vue de l'autre, Frans de Waal fait l'hypothèse de la "coémergence" de facultés cognitives complexes, dont la pierre de touche est l'aptitude à se reconnaître dans un miroir. Une capacité qu'acquièrent les petits d'homme vers l'âge de 2 ans, et que possèdent aussi les grands singes, comme les chimpanzés ou les bonobos. Mais dont sont dépourvus les petits singes, les chiens ou les chats.
Des expériences ont mis en évidence que les dauphins passent davantage de temps devant leur reflet lorsqu'une marque a été dessinée sur leur corps, alors qu'ils se désintéressent de l'image d'autres dauphins pareillement marqués. Signe qu'eux aussi se reconnaissent. Des éléphants d'un zoo new-yorkais ont également passé, avec succès, le test du miroir. "La conscience de soi va de pair avec une forme poussée d'empathie", suggère le chercheur.
Cette double conscience, de soi et de l'autre, pourrait être liée à des cellules nerveuses particulières, les neurones von Economo (du nom du neurologue autrichien qui les a découverts), présentes en petit nombre dans le cerveau des hominidés, c'est-à-dire des humains et des grands singes, mais absentes chez les autres primates. En effet, une lésion des régions cervicales abritant ces neurones provoque, chez l'homme, une perte de certaines facultés, dont, précisément, l'empathie et la reconnaissance dans un miroir. Or, récemment, les mêmes cellules nerveuses ont été trouvées chez deux autres espèces de mammifères, les dauphins et les éléphants. Le lien entre ces neurones et l'empathie demeure toutefois spéculatif.
Autre piste : les neurones miroirs, activés non seulement quand un individu accomplit une action (comme tendre le bras vers un objet), mais aussi lorsqu'il voit un autre individu exécuter le même geste. Ces éléments du système nerveux, découverts dans les années 1990 chez les petits singes comme les macaques, semblent ainsi jouer un rôle dans les relations sociales et les processus affectifs. Mais leur présence chez l'homme n'est pas démontrée.
Pierre Le Hir
père autiste d'une fille autiste "Asperger" de 41 ans