Rencontre avec des jeunes adultes avec syndrome d'Asperger dimanche /octobre 2012 Lyon
Extrait de la revue "Sésame-Autisme"
A la demande de Pietro, self advocate associé au Conseil d'administration d'Autisme Europe, nous avons organisé à Lyon dans le cadre des JEA une rencontre avec déjeunes adultes lyonnais atteints du syndrome d'Asperger .
Pour faire connaissance avec Pietro et nous parler de leur parcours personnel (études, emploi, vie privée, attentes, difficultés....) étaient venus seuls ou accompagnés par leurs parents : Ilia, Philippe, Nicolas, Yannick et Clémence.
Ilia, Nicolas et Yannick sont venus sur la proposition d'Annette André, une psychologue lyonnaise à la retraite qui accompagne certains d'entre eux depuis l'enfance et qui anime chaque semaine au siège de Sésame Autisme Rhône-Alpes un groupe de paroles auquel ils participent .
Philippe et Clémence ont une vie autonome en dehors du cadre familial et sont venus seuls.
Clémence bénéficie du soutien d'Hélène Pringuet, bénévole « Volontaires pour les personnes Autistes », rattachée à la Fondation Orange à Lyon. Hélène anime un petit groupe de paroles pour les personnes Asperger qui a lieu entre deux groupes de socialisation organisés par le CRA. Le groupe animé par Hélène a pour but d'offrir aux personnes un moment de détente, discuter autour de soda et de cacahuètes...
Les jeunes gens s'installent de bonne grâce devant un auditoire peu nombreux, composé de français, de belges, de hongrois, d'allemands, d'un norvégien, d'un espagnol.
Chacun se présente et les questions qui seront posées tournent autour de leur emploi actuel, de leur possibilité de vivre ou non de façon autonome, de leurs difficultés principales, de leurs besoins en soutien divers.
Ecoutons-les sur quelques sujets parmi ceux qui ont été abordés.
Accès à l'emploi
Clémence, 31 ans, master de géographie (géographie physique, qualité de l'eau), vit seule.
Compliqué pour trouver un emploi dans mon secteur, je travaille à la Poste à plein temps, je suis factrice ! J'ai été longtemps en arrêt maladie. J'ai repris récemment dans une équipe qui me convient, avec des horaires qui me conviennent bien, mais aujourd'hui mon poste, qui me convenait, disparaît.
Je n'ai pas trop de problèmes avec l'organisation du temps, j'arrive à gérer le quotidien, le difficile c'est le relationnel, je ne sais jamais quoi répondre au téléphone, qui je dois appeler, je suis toujours aussi paniquée. Demander quelque chose à quelqu'un,...
de quelle aide auriez vous besoin ?
Clémence : de quelqu'un qui m'appuie pour réaliser mes démarches. Une sorte de tuteur pour faire le lien avec l'entreprise, expliquer certains problèmes, qui comprenne mieux pourquoi il y a des difficultés à certains moments
- Hélène explique que Clémence vit un moment difficile à La Poste, parce qu'ils sont en pleine réorganisation.
Chez France Telecom, ça a été très difficile aussi, pas que pour les Asperger, pour tout le monde. C'est commun à toutes les entreprises. Maintenant, ce qu'on demande aux gens qui sont dans les entreprises, c'est souplesse et adaptabilité, c'est déjà difficile pour les personnes neurotypiques, on peut imaginer que ça le soit encore plus pour les personnes autistes.
Yannick, qu'est ce qui pourrait vous aider pour trouver un emploi ?
Yannick : je ne sais pas trop, je ne sais pas trop, Annette m'aide pour faire un début avec les
démarches. Ce n'est pas si facile que ça, c'est même compliqué, c'est la floriculture qui me convient le mieux, je sais mieux me servir de mes mains que de ma force, en horticulture, lever la poubelle dans la benne... [c'est difficile pour moi.]. Mettre les jeunes plantules dans les alvéoles, faut être délicat, ça me convient mieux !
Yannick évoque un stage dans une entreprise de jardinerie. Souvent j'arrivais à l'heure. Une fois
j'étais en retard, de 2 minutes. Souvent j'étais en avance, pas de plus de 4 minutes.
Yannick expose le problème du froid aux mains qu 'il a eu du mal à faire comprendre a son employeur; il en garde un très mauvais souvenir.
Critiques de Nicolas et Philippe contre un ESAT lyonnais de plus de 350 travailleurs.
Nicolas : la semaine prochaine j'aurai 26 ans. Depuis un an je travaille dans une entreprise, enfin... dans un ESAT qui s'appelle Léon Fontaine et qui se trouve à Vaulx-en-Velin la Soie, dans ce qui est mécanique, c'est beaucoup du conditionnement. Avec le travail, je n'ai pas du tout besoin d'aide.
Philippe : j'ai un peu un problème d'orientation. Je suis passé par tout ce qui est langues orientales, japonais, chinois. Demain je commence un travail où je vais enseigner le japonais dans un hôtel. Les caractères pour les mémoriser c'est un travail dingue, faut en apprendre 25 par jour. Les voyages j'adore ça, je suis allé planter des tamarins dans le nord de la Thaïlande. J'avais inventé une méthode pour mémoriser le coréen. On faisait un rond, et puis un trait, et si on le tournait de 45° ça faisait des caractères qui ressemblaient un peu au japonais. J'ai 41 ans. j'ai des problèmes pour gérer [mon] temps pour ce qui est du sommeil, je suis hyperactif à 100%, je ne m'endors pas avant 3 ou 4 h du matin, je voulais apprendre toutes les langues du monde. Il y a un proverbe japonais qui dit « Le temps file aussi vite qu'une flèche », c'est l'impermanence des choses.
J'ai fait un atelier protégé, après ils m'ont dit c'est terminé. Atelier protégé, vous vous retrouvez face au client avec les photocopies, les problèmes que ça donne... Le problème c'est que tout n'est pas assez bien concentré au niveau du travail. Pôle emploi, Cap emploi, tout ça... J'ai rêvé que ce serait un immeuble, que les Pôles Emploi soient à côté des entreprises, des universités, tout ça : il y a plein d'universitaires bac + 6, bac + 7, qui sont chez MacDo, des gens hyper-calés qui font des frites.
Les entreprises doivent employer selon la loi 6% de personnes handicapées mais elles ne jouent pas le jeu, elles préfèrent payer une amende...En master 2, j'ai eu la chance de tomber sur le voisin de mon beau-père qui m'a embauché 6 mois, aujourd'hui on peut plus compter que sur le piston, et avec le handicap c'est pas évident.
Je m'appelle Monsieur Pielsky Ilia, j'ai 29 ans, quand j'étais très petit les médecins ne se sont pas aperçu que j'avais un hypothyroïdose. Mes parents m'ont beaucoup aidé. Un kiné à Moscou m'a appris à marcher, à m'asseoir, un orthophoniste russe m'a appris à parler, Mme Michon professeur au lycée ... à Villeurbanne m'a appris à lire, écrire.
Maintenant je vais parler de mon parcours scolaire. La plus grande partie de mon temps est consacrée à m'éduquer, m'instruire, sortir du cocon, de l'espace enfermé. Ma maman m'a fait sortir de ce cocon. J'ai passé l'examen d'histoire, après je suis arrivé à Lyon en école primaire, après c'est Mme Michon au collège du Tonkin. Une structure spécialisée dans les soins à domicile m'a conseillé les cours par correspondance, ça s'appelle le CNED. A partir de 2003 je faisais chaque classe en 2 ans, parce que en un an c'était trop difficile. J'ai démarré les programmes du lycée, et quand j'étais en Terminale, il existe une façon de passer le bac en plusieurs étapes. En sport j'ai eu 12, en russe j'ai eu 17, en mathématiques j'ai eu 12, en anglais j'ai eu 16. Je suis très content.
J'aimerais être plus indépendant, avoir un métier qui me plaît et dans lequel je suis l'aise, ce qui en ce moment n'est pas facile.
L'activité dans laquelle je me sentirais bien à l'aise c'est l'infographie, ce qui est lié à l'image, bien liée au texte, la mise en page, l'habillage, trouver des formes originales, créer, ou plutôt adapter chaque image au contenu du texte.
Pietro : je suis italien Je suis informaticien, je travaille depuis 12 ans, j'ai étudié ingénierie, je fais aussi du bénévolat, j'ai voyagé en Afrique, à partir de 2006 j'ai su avoir le syndrome d'Asperger.
Pietro, vous travaillez dans une entreprise ?
Pietro : j'ai travaillé 6 ans dans une entreprise comme programmeur, j'avais des problèmes de
harcèlement, j'avais des problèmes avec le chef de bureau, j'ai des problèmes avec les rôles autoritaires, maintenant je travaille en indépendant, je suis consultant, je fais de la programmation et de l'assistance technique, à la maison et chez les clients. Ce qui pourra m'aider, c'est la compréhension des autres. Des groupes de personnes plus ouvertes, plus solidaires, m'ont aidé à développer mes qualités, comme ça j'ai réussi à me lancer.
des difficultés dans la vie quotidienne ?
Pietro : j'habite avec ma mère, j'ai deux soeurs, elles vivent de façon indépendante. Habiter seul ? Il y a plusieurs problèmes pour moi. Gérer le temps. J'ai des difficultés à sélectionner les priorités. Quand je fais quelque chose c'est difficile d'arrêter pour passer à autre chose, et je dois « bien » le compléter. Je n'ai pas appris comment cuisiner.
avez vous des suivis des cours de sociabilité, le téléphone.... ?
Pietro : les cours sont en partie théoriques, pour expliquer l'amitié, les amis comment les reconnaître, comment parler et écouter, comment reconnaître si l'autre personne est en train d'écouter, et j'ai participé aussi à un cours d'« affectivité et sexualité », comment reconnaître les émotions, les différences entre amis et couples, comment éviter la grossesse... comment reconnaître l'abus sexuel parce que pour les femmes c'est très fréquent.
Quelqu'un dans l'auditoire fait la remarque suivante : les personnes avec syndrome d'Asperger
ont des compétences que les autres n'ont pas : exemple avec le reportage dans le Link], détection de pannes informatiques, travaux répétitifs qu'ils font bien et qui leur plaisent... il y a un créneau à trouver selon les compétences de chacun.
Question explicite sur la prise de médicaments
La maman de Nicolas : avec Nicolas on a réussi à ne jamais entrer dans le système du médicament, quand il y avait des colères c'était la présence qui gérait, la parole... Dans un match de foot au Vinatier, il s'est disputé avec une camarade, il est revenu avec une ordonnance de neuroleptiques !
Clémence : j'ai pris des tas d'anxiolytiques, ça faisait pas grand chose.
Philippe : aux E-U, Canada, Hollande, Australie, l'autisme est beaucoup mieux reconnu. En japonais, le caractère, c'est la séparation de l'esprit, avec un renfermement sur soi-même, c'est exactement l'explication de l'autisme, c'est en relation avec la schizophrénie mais ce n'est pas exactement pareil [caractères japonais voisins ?]. L'autisme on essaye de sortir de la bulle, mais c'est très difficile.
Pietro : J'ai utilisé des consultations psychologiques et fréquenté des cours d'habiletés sociales. Pas de médicaments.
Yannick : J'ai jamais utilisé de médicaments pour ce genre de choses.
Jlia : Je prends des médicaments psychotropes, le médecin qui est à Moscou me prescrit l'ordonnance, un psychiatre ici suit.
...avez vous des loisirs ?
Clémence : Je suis passionnée de foot et je supporte l'OL, je vais assez souvent voir les matches, mais je ne vais pas avec des amis, je vais souvent avec mon père. Je ne sors pas.
le syndrome d'ASPERGER.... maladie ou handicap ?
Silence général.
Philippe : ich bin nicht krank.
Clémence : Pas une maladie, plus un handicap.
Yannick : Moi je suis plutôt d'accord avec ce que dit Clémence. Même si un jour pendant que j'étais à Ferney, un médecin a dit que j'avais une maladie qui s'appelle l'autisme. Je ne me sens pas particulièrement malade. Mais c'est un handicap que, petit à petit, on arrive à gérer.
Pietro : nous avons démarré les rencontres européennes de personnes avec Asperger à Prague
en novembre 2011. Je souhaitais qu'on invite également des personnes avec Asperger françaises. Je suis bien content.
Philippe : se réjouit de cette réunion. Par comparaison, la nuit de l'autisme le 2 avril, on n'était
pas impuissants mais... c'étaient surtout les associations.
Remerciement à Frédéric Lefèvre Naré pour avoir pris des notes durant la rencontre ; Une
partie de ces notes sont retranscrites ci-dessus.
Annick TABET