1ère critique, pas tendre, trouvée à l'instant :
http://www.autismrightswatch.com/2012/1 ... -schovanec
"Tribune : Un autre regard sur le « Cerveau d’Hugo » et l’action de Josef Schovanec
November 17, 2012 · by Admin_arw@2012
Par David Heurtevent, personne autiste, Vice-Président d’Autism Rights Watch
Note : N’hésitez pas à corriger mes possibles erreurs scientifiques. J’offre bien sûr la possibilité d’un droit de réponse à Sophie Révil ou à Joseph Schovanec.
Cette tribune offre un autre regard sur le docu-fiction « Le Cerveau d’Hugo » de Sophie Révil, diffusé sur France 2[1], et sur les interventions médiatiques de Josef Schovanec, devenu l’« ambassadeur hors normes »[2] de l’autisme en France. Elle sera mal comprise, car elle s’éloigne nettement de l’unanimité du microcosme de l’autisme français.
La campagne de communication est particulièrement efficace. Elle joue sur la proximité avec les parents : pré-sortie d’un documentaire avec invitation par France 2 de nombreux leaders d’opinion de l’autisme à Paris, teaser sur Youtube[3], sortie simultanée du livre « Je suis à l’est ! »[4] de Josef Schovanec, tournée des plateaux, intervention au congrès d’Autisme France, en clôture de la Grande Cause Nationale 2012[5], etc.
Pourtant, je m’interroge. Certes, les intentions de Sophie Révil et de Josef Schovanec sont louables : ils dénoncent le retard français. Néanmoins, n’y a-t’il pas, sous-jacent, dans le vocabulaire employé, la perpétuation de la ségrégation subie par les personnes autistes ? Ne contribuent-ils pas non plus à encourager les mythes de l’autiste de « haut niveau » et du « savant » ? Dans quelle mesure, les interventions de Josef ne maintiennent-elles pas le statuquo ?
Les intentions sont louables : le retard français est dénoncé
L’intention des protagonistes est louable : lutter contre les préjugés. Ils surfent sur le thème officiel de la Grande Cause[6]. Leur axe central est de valoriser les capacités des personnes autistes pour en favoriser l’insertion sociale. Sophie Révil écrit ainsi dans son synopsis : « Peut-être parce qu’il est « un handicap invisible ». Les enfants autistes ont des têtes d’ange, comme les autres enfants, « les neurotypiques », et pourtant ils vivent dans une véritable prison intérieure, coupés du monde. […] Leur cerveau est une véritable énigme, car il fonctionne différemment du nôtre dans tous les domaines : sensoriel, cognitif, social et émotionnel»[7]. De son côté, la notice du livre de Josef parle de «
a volonté, à travers ce témoignage, de défendre la cause de ces enfants, mais aussi de ces hommes et femmes… qui selon ses propres termes « vivent avec autisme ». »[8]
Ils dénoncent, sans équivoque, le retard français. Dans son teaser[9], Sophie Révil explique la difficulté à mettre en place la « rééducation » des enfants autistes non-verbaux en France, critique les hôpitaux psychiatriques, les hôpitaux de jour, et fait de son personnage Hugo un enfant « éjecté de l’école en CP ». Elle donne également une large place aux témoignages des parents et des personnes elles-mêmes. De son côté, Josef « se situe clairement dans une démarche positive et combattante afin de restaurer l’image et la singularité des autistes »[10]. Dans son livre, il raconte les préjugés à l’école ou dans sa vie quotidienne, et adore donner des anecdotes sur sa relation à son environnement. Sur France Inter[11], il a montré que son combat pour la singularité des personnes « vivant avec autisme » allait des enfants tabassés à une meilleure prise en charge du vieillissement, en passant pas une meilleure insertion professionnelle. Il a également partagé sa « grande déception » vis-à-vis de la Grande Cause Nationale. Mais son combat reste avant tout celui pour son avenir et la conséquence direct de son vécu ou de ses rencontres.
Mais le verbe est emprunt d’un « soi » contre l’« autre »
En tant que, respectivement, documentariste et docteur en philosophie, Sophie Révil et Josef Schovanec connaissent l’importance du verbe dans la genèse de la ségrégation.
Sophie Révil nous explique dans son teaser[12] que « les autistes sont des personnes un peu étranges qui vivent autour de nous » et, concernant la chimie du cerveau, que les « autistes sont défavorisés » en matière d’ocytocine, présentée comme l’hormone du lien social. Dans son synopsis[13], elle écrit également : « En étudiant les étranges particularités du cerveau d’un autiste Asperger ou autiste de haut niveau, nous allons découvrir comment fonctionne notre propre cerveau». Elle emploie volontiers le terme de « neurotypique » pour définir une forme de normalité. Or, ces propos opposent l’autiste, qui serait « étrange », à un principe de « normalité » supposée. Ce discours est d’autant plus dangereux que son travail navigue entre la fiction et le documentaire et qu’elle présente son travail comme « assez scientifique ». Le discours apparaît au spectateur comme valide scientifiquement, puisqu’il interpelle le vécu et le ressenti intérieur des personnes autistes et de leurs proches, le généralise par le mécanisme du personnage fictionnel composite d’Hugo et le crédibilise par les apports des neurosciences comme les concepts de « cerveau social » et de « chimie du cerveau ».
Josef Schovanec aboutit au même effet par un chemin différent. Pour lui, « tous les termes peuvent être possibles »[14]. Il accepte ainsi d’être décrit dans Le Monde comme « autiste de haut niveau, atteint du syndrome d’Asperger »[15], à la Radio Télévision Suisse-Romande[16] et à France Inter[17] comme « porteur du Syndrome d’Asperger ». Josef rejette d’ailleurs les vocables de « personne autiste » ou de « personne TED/TSA ». Il préfère « vivant avec autisme », pour, dit-il, « introduire une certaine distance entre les clichés sur l’autisme et le vécu effectif des personnes avec autisme »[18]. Et son co-auteure Caroline Glorion d’ajouter que « Josef n’a pas envie qu’on le détermine comme une personne autiste »[19]. Il y affirme également préférer la notion de « sans autisme » à celle de neurotypique, même s’il utilise aussi cette notion[20]. L’ensemble de son registre lexical reflète bel et bien que, dans son esprit, il y a une richesse particulière chez la personne autiste et un manque chez la personne non autiste. Pourtant, nul n’est « atteint » ni « porteur » du Syndrome d’Asperger, car ce n’est pas une maladie. L’idée même de « vivre avec autisme », comme on vit avec une maladie, implique que l’autisme serait une chose identifiable, une entité séparée que l’on pourrait soigner ou extraire.
Le documentaire de Sophie Révil et les interventions de Josef Schovanec sont, par conséquent, le reflet d’une vision déterministe et médicale de l’autisme.
La culture de fierté et de singularité de l’autisme est aussi inappropriée que l’emploi du registre du désordre fonctionnel. D’une part, l’autisme apparaît comme un continuum en lien avec la « normalité ». En 2010, Temple Grandin a évoqué lors de la conférence TED un « très grand continuum » allant de cas sévères (non-verbaux) à des personnes brillantes (scientifiques)[21]. Certains, comme Robinson et al., conceptualisent les troubles du spectre autistique comme un extrême quantitatif d’un continuum neuro-dévelopmental[22]. D’autre part, comment les personnes autistes peuvent-elles s’insérer quant elles-mêmes voient en l’autre un « neurotypique », en réponse à la ségrégation dont elles font l’objet ?
Et ils perpétuent le mythe du « haut niveau » et du « savant »
Demandez au grand public à quoi ressemblent les personnes autistes. Ils vous répondront sûrement Rain Man, et, s’ils sont mélomanes, Glen Gould. Certain évoqueront aussi les grands « génies » (Einstein, Newton) ou des personnages comme Tryphon Tournesol. Toutes ces représentations ont en commun l’idée que l’autiste aurait un talent, une prédisposition qu’il faudrait encourager, ou un quotient intellectuel élevé.
Les choix de Sophie Révil et de Josef Schovanec accréditent ce mythe d’un autisme de « haut niveau » « savant ». Le personnage d’Hugo, choisi par Sophie Révil, est un « pianiste prodige » comme Glen Gould, tandis que Josef Schovanec accepte d’être « savant et autiste » sur la couverture de son livre, ou sur France Inter.
Lorsque l’on parle de l’autisme, il existe une responsabilité à présenter correctement les choses. En se focalisant sur un « autiste asperger » ou « autiste de haut niveau », ils encouragent pourtant l’idée selon laquelle un type d’autisme serait doté de qualités et d’un fonctionnement propre, ou pire que les autistes sont tous « savants».
Se définir comme « haut niveau », c’est vouloir se hisser au dessus des autres, qualifiés implicitement de « bas niveau ». L’« autisme de haut niveau » n’existe pourtant pas dans les classifications internationales de référence[23]. Il s’agit que d’une notion informelle, qui n’est pas uniquement liée au QI, mais au niveau fonctionnel global de la personne. On parle d’ailleurs en anglais de « High Functionning Autism (HFA) », qui devrait être traduit par « Autisme à Haut Fonctionnement ». L’existence même du HFA, et sa distinction du Syndrome d’Asperger font l’objet d’un vif débat[24]. D’ailleurs, l’autisme, le Syndrome d’Asperger et les PDD-NOS devraient être fusionnés en une seule catégorie de Troubles du Spectre Autistique (TSA) dans le futur DSM V américain, à paraître l’an prochain. Cette nouvelle définition devrait donc éliminer le diagnostic formel de Syndrome d’Asperger et de PDD-NOS[25].
Utiliser « haut niveau », c’est nier les points communs majeurs entre toutes les personnes relevant des TSA ou des Troubles Envahissants du Développement (TED). Appartenir aux TSA et aux TED s’est faire partie d’un arc en ciel de variations, et c’est avoir un développement particulier du cerveau avec une incidence sur les interactions sociales, la communication, verbale (parfois), non-verbale (toujours), et les centres d’intérêts[26]. C’est également oublier qu’il existe d’autres syndromes rentrant dans les TED, comme Syndrome de Rett, les troubles désintégratifs et les PDD-NOS[27], ou des co-morbidités avec certains phénotypes génétiques, comme le Syndrome du X-Fragile, première cause de déficience intellectuelle, héritée dans les deux sexes. Son incidence est de l’ordre de 1 naissance sur 5000 chez les garçons[28].
L’idée de l’autiste « savant » est également profondément erronée. Tous les autistes ne sont pas savants et tous les savants ne sont pas autistes.
D’abord, seule une petite proportion des personnes autistes a des capacités de mémoire ou des savoir-faire extraordinaires. Treffert estime ainsi que seul 10% des personnes autistes sont des savants[29]. Le fait d’être « savant » n’est pas non plus réservé à l’autisme. Treffert estime également que les personnes autistes ne sont pas les seules à avoir ces capacités. 50% des cas ont d’autres origines organiques[30]. D’ailleurs, Kim Peek, qui a servi d’inspiration au personnage du film Rain Man, était atteint d’une maladie génétique, le Syndrome FG, et non pas d’autisme[31].
Ensuite, le niveau de Quotient Intellectuel n’est ni un critère des TSA, ni un critère des TED. Le QI seul ne différencie pas les sous-types de TSA. De plus, certains auteurs séparent, par un « double diagnostique », la douance (haut QI) du syndrome d’asperger[32], même si l’interprétation de ce « double diagnostique » se révèle difficile[33].
Enfin, la déficience intellectuelle, encore appelée « retard mental » en France[34], est une réalité pour de nombreuses personnes autistes. La proportion varie selon les auteurs entre 25% et 75%[35]. Morgan et al. estiment que 30% des personnes présentant une déficience intellectuelle, appartiennent également aux troubles du spectre autistique[36].
Perpétuer le mythe de l’autiste de « haut niveau » et « savant » est irresponsable. C’est ignorer complètement la réalité des TSA/TED, créer des différences majeures entre des sous-types de TSA, et oublier que peu d’autistes sont savants et que tous les savants ne sont pas autistes.
Le discours de Sophie Révil et de Josef Schovanec aurait dû refléter la réalité plutôt que conforter des mythes qui flattent les préjugés. Mais il est vrai, qu’il est plus facile pour eux d’assurer le succès commercial de leur entreprise, en assouvissant à la fois le voyeurisme du public en quête d’étrangeté, et le rêve de parents d’enfants autistes cherchant un avenir dans lequel se projeter. Nous sommes bien loin du discours scientifique et de la lutte contre les préjugés revendiqués.
Or, pour lutter efficacement contre la ségrégation, il nous faut refuser la production même du handicap, en évitant le recours aux notions d’incapacité et d’idéal du corps capable (« disabilism » / « ableism »). Fiona Cambell a définit l’ableisme comme « un réseau de croyances, de processus et de pratiques qui produisent une forme particulière de soi ou de corps, qui est projeté comme parfait et typique de l’espèce, et par conséquent essentiel et parfaitement humain. Le handicap est alors déterminé comme une diminution de l’état d’être humain.»[37]
Josef, fer de lance de l’autre « autisme » ?
En réalité, le très sympathique Josef Schovanec est le fer de lance d’une perpétuation du mythe de l’autiste « haut niveau », « asperger », « savant ». Ces mythes servent pourtant à empêcher le grand public de découvrir la réalité de l’autisme dans ses définitions les plus modernes.
Nombre de personnes me ventent l’humour, les qualités humaines et le puits de science de Josef. Lui dit jouer la « comédie sociale » pour s’intégrer[38][39]. Il est vrai qu’il sait capter son auditoire et provoquer un effet de sidération finissant en « standing ovation » [40]. Il a parfois des fulgurances verbales de la philo façon BHL. Il reste un pur produit des milieux Rive Gauche. Ce docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Science Sociales (EHESS), chercheur en philosophie et sciences sociales, et ancien élève de Science Po Paris, parle plusieurs langues. D’ailleurs, Le Monde a écrit dans son portrait : « Posez n’importe quelle question à Josef Schovanec et vous obtiendrez en général une réponse fleuve, brillante, désarmante parfois. […] Lorsque nous l’avions rencontré pour la première fois, en juin, au Collège de France, où il intervenait sur le thème du défi de l’insertion professionnelle des autistes, il avait conquis la salle. Réussissant à captiver et sensibiliser son auditoire à ce sujet délicat tout en faisant fuser les rires »[41].
Pour autant, rit-on avec Josef ou de Josef ? Ne risque-t-il pas de devenir le François Pignon de l’intelligentsia ? Le succès annoncé du documentaire « Le cerveau d’Hugo » et de Josef n’est pas sans rappeler les grandes heures du voyeurisme grand public de Jean-Luc Delarue sur France 2.
Mais Josef n’est pas dangereux pour le statuquo. Josef est digéré par le système. Il est employé à mi-temps pour un de ceux qui contribue au maintien de l’institutionnalisation et des politiques de quota dans l’emploi en France. Il travaille en effet depuis 6 ans pour Hamou Bouakkaz, adjoint PS au Maire de Paris[42], qui outre le fait d’être un militant associatif de longue date, est également administrateur ou ancien administrateur de l’AGEFIPH, de l’ADAPT, de l’ONFRIH, etc.[43]
Vous ne verrez donc plus Josef dans un combat associatif. « Je ne représente personne et n’ai pas de charge associative, mais je veux bien être un compagnon de route »[44]. « Parfois, dans son combat militant, Josef Schovanec ressent la “lassitude du vétéran“. Ses mots sont sans concession pour certaines associations et certains politiques qui affichent une préoccupation pour l’autisme sans, au fond, véritable souci des intéressés. »[45]. Josef veut, aujourd’hui, paraître indépendant, là où en 2008, il était secrétaire général d’Aspergeraide[46], association aujourd’hui membre du Collectif Autisme à l’origine de la Grande Cause Nationale.
Josef ne dénonce donc pas les violations des droits de l’homme, ne propose pas de solutions. Il se contente de partager ses constats, ses émotions[47], sa compréhension des codes sociaux[48] et ses conseils pratiques sur l’emploi, notamment en signant un « guide pour l’insertion dans l’emploi »[49].
En réalité, Josef est glissant. D’un côté, il vous parlera du « fantasme » du « savant autiste », comme nuisant à la vie des adultes autistes. De l’autre, dans la même interview, il ne se montre pas gêné d’être présenté comme « savant et autiste », se limitant à dire que quelqu’un qui fait des études est un savant[50]. Il qualifiera de « parfois indignes » les conditions dans les établissements, mais d’approche « misérabiliste », ceux qui les dénoncent[51]. Pire, il ne réagit pas. Josef ne s’est pas ému des propos inadmissibles sur « la psychanalyse sauve des existences »[52] et sur le « dressage », prononcés par Philippe Val, directeur de France Inter, quelques heures auparavant.
Naïveté ou calcul pour ne pas froisser, lui seul le sait. Reste de Josef, un « ambassadeur hors normes »[53] que l’on sort en ville, de plateaux en plateaux, invité des associations, des institutions et des médias qui ne veulent pas parler du fond. Josef est l’alibi des médias les plus pro-psychanalystes de France : France Culture[54], France Inter[55], Le Monde[56]. Il intervient y compris aux côtés de personnes « doubles » comme Jean-Clause Ameisen, dont on a pu constater qu’il accepte la proximité entre neuroscience et psychanalyse lors de la journée « Freud » sur France Inter[57].
Josef est digéré par le système. Tout le monde y trouve donc son compte. Pendant ce temps le débat de fond est évité. Encore une fois, personne ne saura par exemple ce qu’est le packing, ni qui en sont les responsables.
Le droit au regard critique
Sophie Révil et Josef Schovanec ont fait le choix d’adopter un discours populiste et pragmatique, mélange de bons sentiments et d’une dénonciation du retard français sans aller dans le fond du dossier ni dénoncer les responsables. Or, c’est ce discours, qui existe depuis des années, qui n’a jamais fait avancer le dossier de l’autisme en France.
L’image angélique du joueur de piano, ou du savant fou, c’est de la poudre aux yeux, ce n’est pas l’autisme ! A force d’affirmer la particularité et de renforcer la différence, ils portent atteinte à la cause en ne s’attaquant pas aux représentations, qui engendrent la ségrégation. Au contraire, il y a dans leur discours une logique de ségrégation avec l’ « autre » contre « soi » et la perpétuation du mythe de l’autiste de « haut niveau », « savant ».
Il est plus facile d’éluder les responsabilités et les solutions. Il serait trop dangereux de dénoncer publiquement l’Etat ou les élites qui en sont responsables.
Arrêtons de tomber dans ce regard niaiseux et mettons réellement en place une vraie information des familles et du public."