La mouche qui ne dormait jamais
Une expérience menée sur des drosophiles montre que cette espèce n’a pas forcément besoin de sommeil pour survivre.
Jamais aucun scientifique n’avait identifié un animal qui ne dort jamais. Une étude parue mercredi dans la revue Science Advances semble pourtant avoir réussi là où les autres ont échoué. Une équipe de l’Imperial College de Londres a étudié le sommeil de Drosophila melanogaster, des petites mouches à fruits. Et leurs résultats, comme ils l’écrivent eux-mêmes, sont plus que surprenants.
D’abord, Quentin Geissmann et ses confrères ont analysé le sommeil de plus de 1000 drosophiles mâles et femelles à l’aide d’un système de vidéosurveillance qui détecte les mouvements les plus fins, comme lorsque les mouches mangent, font leur toilette ou lissent leurs ailes. Première révélation: les mâles dorment deux fois plus que les femelles, soit dix heures par jour en moyenne.
Insomnie
Lors de l’expérience, trois femelles sur 881 n’ont dormi que 15, 14 et 5 minutes par jour, un phénomène qui «n’avait jamais été identifié avant», relèvent les chercheurs. Paul Franken, professeur à l’Université de Lausanne, note cependant que «se baser sur les mouvements pour estimer le temps d’éveil n’est pas forcément toujours fiable. Qui sait, peut-être que la mouche bouge en dormant? Cela plaide en faveur de l’évaluation, comme chez les mammifères et les oiseaux, de leur activité cérébrale électrique, afin d’identifier sans équivoque le sommeil.»
Soucieux d’éviter tout quiproquo, les auteurs de l’étude ont cependant relevé que les microgestes des mouches femelles qui dorment le moins ont eu lieu en relation avec les repas, et que donc, ils ne seraient pas liés au sommeil. Autre découverte: ces mouches femelles dorment beaucoup moins après un accouplement.
Mouches zombies
Quel est l’impact de l’insomnie sur la santé de ces drosophiles? Pour répondre à cette question, les chercheurs les ont privées de sommeil en les plaçant individuellement dans un tube qui alterne l’immobilité avec une faible rotation. «Plus de 95% des mouches n’ont pas pu dormir, relèvent les biologistes, et de manière surprenante, nous n’avons pu détecter aucun effet majeur sur leur survie. En particulier, les mâles privés de sommeil ont vécu aussi longtemps que le groupe de contrôle.»
Là encore, Paul Franken, tout en félicitant l’audace de cette recherche, émet quelques doutes sur les conclusions. «Le tube restait immobile pendant vingt secondes. Peut-être que les drosophiles se sont adaptées et faisaient des microsiestes pendant ce laps de temps, comme les oiseaux migrateurs semblent le faire? Ou alors, ces mouches semblaient survivre sans sommeil en laboratoire, mais étaient en fait des zombies, qui seraient morts en un clin d’œil dans un environnement naturel?»
Cette hypothèse est d’ailleurs discutée par les chercheurs anglais, qui comparent la mouche insomniaque à un homme au volant d’un camion. Ce n’est pas le manque de sommeil qui tuera directement celui-ci, mais probablement l’accident qu’il aura, dû à son attention plus faible sur la route.
Pourquoi dort-on?
Quoi qu’il en soit, les résultats éclairent un champ de recherche fascinant. «Pourquoi dort-on? A cette question, la science n’apporte pas de réponse précise», explique Laurence Bayer, biologiste au Centre de médecine du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève. Il est vrai que de nombreuses expériences ont été menées sur le sujet, comme celle effectuée par Randy Gardner en 1964, qui est resté éveillé pendant onze jours. Les effets relevés sont des hallucinations ainsi que des troubles visuels et comportementaux, réversibles après deux ou trois jours de sommeil.
On entend souvent que le sommeil, mécanisme fortement conservé lors de l’évolution, est vital pour les organismes. «Cette publication est intéressante, car elle relativise l’idée que l’on meurt si on ne dort pas, ajoute Laurence Bayer. Je pense qu’un «bon» cycle veille-sommeil dans son ensemble est à conserver pour préserver un individu en bonne santé.»
Il est à noter que selon cette étude, les mouches femelles peuvent, mieux que les mâles, faire face à beaucoup moins de sommeil dans des conditions de base; mais elles seront plus sensibles qu’eux à la privation de sommeil. Une découverte à dormir debout!
Sleepless Flies Lived Long Lives. Why Not Us?
Most sleep does not serve a vital function : Evidence from Drosophila melanogaster
Décidément, elles ne respectent pas l'heure du couvre-feu.
