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Je poste ça ici, car ça me semble plus une expérience sociale qu'autre chose. Et si vous voulez y participer, c'est maintenant !
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La fête est finie avec Jérémie Peltier ?Julien Damien
1er décembre 2021
À l’heure de la vie (presque) post-Covid, de la réouverture des bars ou des discothèques, force est de constater que la grande “bamboche” espérée n’est pas au rendez-vous. Mais alors quoi ? L’esprit de la fête serait-il mort ? C’est la question pas si incongrue que pose Jérémie Peltier dans un essai aussi drôle qu’argumenté. Dans La Fête est finie ?, le directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès autopsie un art de vivre déjà moribond avant la pandémie, et pointe l’individualisme galopant, la mise en scène permanente de soi, la perte de tout sens collectif… entre autres suspects. Entretien avec un fêtard contrarié.
Pourquoi soutenez-vous que la fête était déjà en déclin avant la pandémie ?
On a beaucoup parlé de la faillite des boîtes de nuit, bars ou clubs au sortir des confinements. Or, le processus de disparition des lieux festifs était déjà en cours. On comptait 4000 discothèques en France il y a 40 ans, nous en avions déjà perdu plus la moitié avant le début de la crise, il n’y en aurait plus que 1500 désormais. On dénombrait aussi 200 000 bistrots dans les années 1960, contre 40 000 avant l’arrivée du coronavirus, cela signifie que deux tiers des communes n’ont plus un seul bistrot, ce fameux “parlement du peuple” pour citer Balzac. On s’est aussi émus de la disparition des bals populaires, alors qu’ils étaient déjà considérés obsolètes voire ringards bien avant. La crise sanitaire n’a rien arrangé, certes, mais cela fait longtemps que la fête est malade.
D’ailleurs vous relevez que très peu de gens, mis à part les professionnels du secteur, ont défendu la fête durant la crise sanitaire…
Oui, comme si elle n’était déjà plus essentielle. “La bamboche, c’est terminé” clamait le préfet du Centre-Val de Loire. La formule a beaucoup amusé, mais je pense qu’elle est vraie. Peut-être parce que notre génération vit déjà en intérieur, “enfermée” donc, et cela bien avant le confinement. Dans le livre La Civilisation du cocon, Vincent Cocquebert montre que nous passons beaucoup plus de temps entre quatre murs que la génération précédente. On a voulu croire que l’enfermement était exceptionnel et insupportable mais, d’une façon générale, il n’y a pas eu de révolte, la population s’est accommodée de cette situation déjà habituelle.
Alors, qui a tué la fête ?
D’abord l’individualisation de la société et donc le repli sur soi et sa sphère intime. En 2021, 62 % des Français estiment qu’on n’est “jamais assez prudents quand on a affaire aux autres”. Cette défiance vis-à-vis d’autrui, à l’oeuvre depuis une dizaine d’années, est une cause majeure du délitement de la fête. D’où le développement des soirées à la maison. Cet entre-soi est problématique car, par définition, la fête doit engager le collectif, des gens qu’on ne connaît pas, c’est une bifurcation dans nos vies autorisant la rencontre de milieux sociaux différents.
Vous évoquez également le narcissisme et la mise en scène de soi permanente…
Oui, j’aime d’ailleurs ce proverbe : “la moitié de la fête c’est la façon dont on la raconte”. Mais désormais, on la filme la commente en direct avec nos téléphones, à la manière d’un journaliste de BFM TV. On fête la fête plus qu’on ne la fait.
Selon vous, il n’y aurait plus de différence entre moments festifs et moments non-festifs. Pourquoi ?
C’est un concept développé par Philippe Muray à la fin des années 1990 et qui s’est accentué au fil du temps. Il parle de “festivisation générale” de la société, du règne de l’Homo Festivus. La fête devait être une rupture avec le quotidien, elle est désormais quotidienne : les rues doivent être une expérience festive bardée de décors et d’animations, un magasin de parfums devient une petite boîte de nuit… même les lieux historiques doivent se draper d’un petit air “sympa”. En janvier 2020, le Musée national de l’histoire de l’immigration à Paris a ainsi accueilli la Fashion Week, en totale inadéquation avec la vocation de ces murs… La fête est aujourd’hui partout, donc nulle part.
Elle se serait même invitée au travail, avec l’émergence des “chief happyness officers, des “afterworks”, d’une “tyrannie de l’happycratie” dites-vous…
Oui, il y a une injonction au cool, comme si nous devions être des enfants tout le temps. La fête, c’est un moment séparé du reste de la vie où, le temps d’une danse, vous retournez en enfance ou retrouvez vos vingt ans. Maintenant, même un déplacement doit être sympa, s’effectuant en trottinette ou en gyroroue, cette version moderne du monocycle de cirque.
La fête ne servirait donc plus à grand-chose…
Elle n’est en tout cas plus la condition essentielle à un certain nombre d’activités. Aujourd’hui, vous n’avez plus besoin d’elle pour danser, il suffit de se balader sur TikTok pour le constater et voir des gens se trémousser seuls dans leur chambre. La fête était aussi un moment pour draguer : 37% des couples se sont formés dans un bal ou une discothèque. En cela les applications de rencontre l’ont rendue obsolète. D’ailleurs dans les zones rurales, des cohortes de gens se retrouvent célibataires car il n’y a plus de lieux pour rencontrer des gens. Enfin, la fête était aussi le lieu où écouter de la musique, mais elle est maintenant greffée à nos oreilles…
Vous dénoncez aussi la culture du bien-être…
Oui, j’aime beaucoup cette phrase de Jean Yanne : « avant c’était la police qui m’arrêtait, aujourd’hui ce sont les médecins ». Il avait raison, et cette culture du “sanitairement correct” a été accélérée par la crise. On fait très attention pour être en forme en vue du petit footing du lendemain matin (car tout le monde court aujourd’hui !), de ne pas trop manger ou boire…
Narcisse serait donc vainqueur de Dionysos ?
Oui, c’est une phrase de Gilles Lipovetsky. La fête est normalement un moment de générosité où vous dépassez votre petit être pour vous tourner vers l’autre. Aujourd’hui, le rite du moi a pris sur le pas sur à peu près tout. D’ailleurs je pense que la fête est un bon objet d’étude pour montrer à quel point la France est devenu un pays individualiste et égoïste. J’étais perplexe lorsqu’on nous a expliqué, durant le premier confinement, que nous allions être témoins de grands moments de solidarité. Dès la première semaine, la délation représentait jusqu’à 70 % des appels reçus par la police dans les grandes métropoles !
Le délitement de la fête traduirait donc celui du sens collectif ?
Un français sur deux dit “ne pas avoir le sentiment d’appartenir à une communauté, y compris nationale”… Pour moi, l’augmentation de l’abstention aux élections participe de cette même cause : on donne de soi pour des choses qui nous dépassent. La désertion des fêtes comme celle des bureaux de vote figure le même mal, un rapport au collectif très abîmé.
Vous dites que tout cela cache une société qui n’a plus le cœur léger comme jadis. Que l’on a “divorcé avec l’esprit français”. En quoi exactement ?
La fin de l’insouciance a notamment été accélérée par les attentats de 2015 qui ont touché des lieux festifs par excellence. Les attentats ont littéralement abattu cet esprit très léger, condition sine qua non pour faire la fête.
Pourtant, nous assistons tout de même à des grands moments d’embrasement collectif, par exemple de la victoire de l’équipe de France de football...
Oui, mais ces moments sont instrumentalisés par l’individu pour se faire plaisir le temps d’une soirée. On a tous besoin d’un petit “shoot” de collectif, pour se donner le sentiment d’appartenir à un groupe. Une fois encore, la plupart des participant à ces mouvements se filment, se mettent en scène. Les gens sont en réalité seuls ensemble.
Quel serait le bon sens de la fête ?
C’est avant tout un moment qui doit rester gratuit et désintéressé. Citons d’ailleurs un autre fléau : les fêtes servant une cause, qui doivent défendre des sujets sociétaux, dénoncer les injustices… Ce n’est pas à la fête de porter ce poids-là. Regardez la dernière cérémonie des César, ça n’avait franchement rien d’une célébration du cinéma… Ensuite, il faudrait retrouver un peu de générosité et de pudeur, laisser ses problèmes personnels sur le côté. Aujourd’hui la société est devenue une thérapie généralisée, tout le monde veut en permanence parler de ses malheurs. Enfin, il faut arrêter de la mettre en scène : laissez-donc vos téléphones sur le côté le temps d’une soirée ou d’un week-end pour vous intéresser aux autres !
Il faudrait aussi cesser de contrôler les événements…
Effectivement, à l’ère du sur-mesure, de “l’amazonisation” de la société où je peux commander le repas ou le livre que je veux à n’importe quelle heure, cette culture de la maîtrise à un impact : en voulant contrôler et anticiper l’intégralité de nos besoins et de nos désirs, nous détruisons toute spontanéité, donc la possibilité du hasard et de la rencontre. En cela le succès du gaz hilarant chez les jeunes n’est pas anodin : cette drogue vous permet de décider du moment où vous vous marrer. C’est le rire sur commande.
Selon vous, à quoi ressemblera la fête de demain ?
Sauf sursaut, on assistera au développement de la fête à la maison, où l’on filtre les gens, où tout est sécurisé, contrôlant la musique comme l’assistance. Cela entraîne d’ailleurs une intolérance de plus en plus grande face au bruit. Suite aux confinement, les métropolitains ont goûté au calme, aux chants des oiseaux, au son de la campagne dans la ville finalement, et ne veulent pas revenir en arrière.
Vous parlez aussi des “rooftops”…
Les toits terrasses se sont multipliés dans les grands villes. C’est très fort symboliquement : on n’accepte plus d’être au milieu de la foule et de la ville. On fait sécession, s’envolant au-dessus de la mêlée, au sein d’une certaine classe sociale… et en prenant des photos de la vue bien sûr !
On perçoit de la nostalgie chez vous…
Un peu. J’ai découvert la fête dans un milieu rural, au fin fond de la Sarthe. Je retiens des moments chaleureux, fraternels, où j’ai rencontré des gens qui n’étaient pas issus de mon milieu et que je n’aurais jamais côtoyés ailleurs. La fête est inestimable dans un pays qui parle sans cesse de vivre ensemble. Elle devrait donc être défendue dans cette société “archipellisée” et recroquevillée sur elle-même.
Catherine Portevin
26 avril 2017
Qu’est-ce que ça coûte, un sourire ? Telle était la question de la sociologue américaine Arlie Russell Hochschild lorsqu’elle enquêtait à la fin des années 1970 auprès des hôtesses de l’air de la compagnie Delta Airlines. Son livre, Le Prix des sentiments, paru en 1983 et plusieurs fois réédité, est vite devenu un classique des sciences sociales. Les transformations du travail (fin du modèle industriel de l’économie fordiste, multiplication des emplois de service, généralisation du travail féminin…), dont l’ouvrage révélait à l’époque des conséquences inaperçues, sont aujourd’hui massives. Traduit pour la première fois en France, il n’a rien perdu de son actualité. Depuis, les émotions et affects sont partout, dans le management, la politique, les médias ; ils sont aussi devenus un secteur de recherche en plein essor, des sciences cognitives aux sciences sociales. C’est la synthèse de ces travaux que propose l’anthropologue Julien Bernard dans La Concurrence des sentiments pour redéfinir les objets, axes de pensée et méthodes d’une sociologie des émotions : comment le social façonne nos sensibilités et comment il est travaillé par elles.
Au centre de la recherche d’Arlie R. Hochschild se trouve la notion de « travail émotionnel ». Elle caractérise un type d’emplois, en train de se développer et de se rationaliser dans les années 1970 : les métiers de service en contact avec le public ou ceux du soin, de l’éducation et de l’aide à la personne, relevant de ce qu’on appellera plus tard le care. Durant des mois, donc, la sociologue a interrogé des hôtesses de l’air, voyagé avec elles, suivi leur recrutement, leurs sessions de formation. Elle s’est intéressée aussi à une autre catégorie de personnel de la compagnie d’aviation : les agents de recouvrement. Les unes (surtout des femmes) sont payées pour être souriantes et empathiques, les autres (surtout des hommes) pour être agressifs et méfiants : les deux pôles opposés du « travail émotionnel ». Ou comment les émotions deviennent des outils de travail, des objets marchands, qui exigent en retour de l’individu un jeu constant, et souvent inconscient, avec les « règles des sentiments », mais aussi avec lui-même, entre vie privée et vie publique, entre ses « vrais » et ses « faux » moi.
Hochschild s’inspire et dépasse ainsi les travaux du sociologue Erving Goffman (1922-1982) qui étudia « la présentation de soi », dans toutes les modalités, parfois minuscules, par lesquelles, dans l’interaction en face à face, nous adaptons nos comportements dans le but de ne pas « perdre la face ». La vie sociale, y compris privée, est faite de ces multiples contrôles de nos émotions et de leur expression. Mais la différence est énorme quand cette « gestion des émotions » est conçue depuis « le haut de l’échelle » et qu’un salaire en dépend. Dès lors, le prix à payer du sourire peut être, par excès d’identification à son travail ou par excès de distance, le burn-out ou le cynisme, c’est-à-dire la « mort émotionnelle ». Or, diagnostique la sociologue, « si nous n’avons plus accès à nos sentiments, nous perdons un outil fondamental pour interpréter le monde qui nous entoure ».
En mêlant l’économie, la sociologie et la psychologie, le fait nouveau qu’analyse Hochschild est la marchandisation des émotions et ses conséquences psychosociales : dans ce bain d’insincérités formatées, l’authenticité devient le Graal, comme si le sentiment spontané, « naturel », était devenu un bien aussi précieux que menacé. D’où – ce que pointe déjà la sociologue en 1983 – le succès des thérapies comportementales, du développement personnel… et même de sa propre notion de « travail émotionnel » récupérée par les « gourous spécialisés dans le conseil en entreprise » ! Quant aux aides à la personne, standardistes, guichetiers et caissières, ils sont de plus en plus remplacés par des machines polies avant de l’être, un jour prochain, par des robots empathiques.
Julien Bernard s’inspira naguère des travaux d’Hochschild pour étudier un autre cas de travail émotionnel : la gestion de l’empathie par les employés de pompes funèbres (Croquemort, Métailié, 2009). Son ambition est ici plus large – peut-être trop, en visant à la fois le manuel spécialisé pour non-spécialistes, bourré de références et de citations, et l’essai sur notre « société émotionnelle » contemporaine. Il tente néanmoins de tracer de nouvelles pistes en s’intéressant à la « dynamique des émotions » : comment les affects agissent sur les sociétés, même s’ils sont aussi déterminés, régulés, normés par elles. Comment, par exemple, le deuil, sentiment renvoyé à la sphère intime après la désuétude des anciens rituels conventionnels, retrouve-t-il aujourd’hui de nouvelles normes sociales avec les cérémonies personnalisées autour des crémations ? C’est entre l’éprouvé et l’exprimable que se joue ce que Julien Bernard appelle « la concurrence des sentiments », moteur de conflits, donc potentiellement de changement social. Le sociologue s’inspire là fortement des travaux de Norbert Elias (1897-1990) sur La Civilisation des mœurs, lorsqu’il analysait par exemple la Révolution française comme le résultat du mépris des nobles à l’encontre des bourgeois. Dans le trop-plein émotif d’aujourd’hui, quand faible contrôle de soi et faible contrôle des événements vont de pair, il se pourrait que la « concurrence des sentiments » soit promise à un bel avenir.
Internet a été salué comme un formidable outil de démocratie participative. On lui reconnaît un rôle essentiel dans les mobilisations des Printemps arabes ou de Occupy Wall Street, et l’émergence de mouvements tels que Black Lives Matter ou #MeToo. Son image s’est toutefois dégradée à mesure que les réseaux sociaux ont été pointés du doigt pour leur participation à la propagation des fake news.
Jen Schradie, chercheuse à Sciences Po, montre comment le web est devenu une arme nouvelle dans l’arsenal des mouvements conservateurs.
Sur la base de la situation américaine, elle met en évidence trois facteurs déterminants dans la propagation des idées de droite sur internet: la fracture sociale, exacerbée sur le web, l’organisation hiérarchisée et les moyens financiers engagés par des partis de droite, et la nature même des messages relayés. Elle épluche les différentes couches de la surmédiatisation et met ainsi à jour un terrain numérique inégal, largement délaissé par la classe populaire, au profit de groupes réformistes de droite aux avant-postes du cybermilitantisme. L’analyse d’un système interconnecté d’organisations communautaires et professionnelles de droite lui permet de réfuter les récentes allégations selon lesquelles des individus comme Trump, des réseaux d’informations comme Breitbart, des plateformes comme Google ou encore des pays comme la Russie seraient les seuls responsables de la situation actuelle.
En parallèle de l’émergence de mouvements comme #NuitDebout ou des Gilets jaunes, la montée en popularité d’Éric Zemmour confirme que la France n’est pas épargnée par le phénomène.
À l’heure où l’activisme hashtag fait les gros titres, le cybermilitantisme radical s’avère redoutablement efficace. Il accélère et renforce les rapports de classe et la polarisation idéologique de nos sociétés.
Le capitalisme est la plus formidable machine à absorber les idées du temps pour les pervertir en anéantissant le fond pour ne garder que l'apparence.freeshost a écrit : ↑vendredi 29 juillet 2022 à 15:14 Le bluff technologique, Jacques Ellul :
La technique suit sa propre logique, qui nous guide à travers les nouveaux usages des technologies. Elle devient une idéologie, liée à l'utopie numérique et à la pensée magique selon laquelle la technologie va résoudre le problème énergétique. La technique façonne nos modes de vie au quotidien.
Les enfants gâtés, Fanny Parize :
Au sein de la créatocratie, qui promeut la créatique, les nouveaux sauvages créent et vantent divers modes de vie brandis comme socio-éco-responsables avec pour mantra "consommer moins, consommer mieux". Parmi, ces nouveaux sauvages, on retrouve différentes sortes les bobos, les hipsters, etc. Les enfants gâtés goûtent à ces modes de vie, pour mieux renouveler le capitalisme.
Rebellion et résistance ne se trouvent pas où on les attend.