Tout cavalier a au moins une histoire à raconter, durant laquelle le cheval paraît avoir perçu très précisément son état émotionnel. Rien de paranormal là-dedans : depuis quelques années, les scientifiques eux-mêmes reconnaissent de véritables facultés d’empathie chez le cheval… Des facultés qui permettent notamment aux chevaux d’aider les enfants autistes à s’ouvrir au monde…
L’empathie, tout le monde en a – au moins vaguement – entendu parler. Selon le Larousse, c’est la « faculté intuitive de se mettre à la place d'autrui, de percevoir ce qu'il ressent ». On la résume souvent par une petite phrase, « se mettre à la place de… »
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D’emblée, il n’est pas certain que les chevaux sachent réellement « se mettre à la place des êtres humains » ou de l’un des leurs... mais un faisceau d’indices concordants tend à montrer qu’ils ressentent l’état émotionnel des personnes et de leurs congénères pour s’y adapter.
Des témoignages par milliers
Toute personne qui offre une place aux chevaux dans sa vie récolte dans son escarcelle des dizaines de récits inexplicables autrement que par l’empathie. La question de savoir si les chevaux sont influencés par notre état émotionnel vient toujours à l’esprit un jour ou l’autre !
L’empathie du cheval, dans sa définition de « faculté à percevoir l’état émotionnel d’autrui », a été le sujet d’une étude scientifique réalisée dans un centre équestre japonais.
Pour ma part, ce fut vers l’âge de seize ans. Ayant reçu une réprimande sévère du moniteur dans le centre équestre où je montais pendant l’été, je suis entrée dans le box d’Elgado – un grand alezan dégingandé avec une liste tordue et deux balzanes – dans un état de colère. Alors qu’Elgado était « un ami » d’une douceur et d’une patience à toutes épreuves, il m’a présenté sa croupe. Une « histoire de cavalier(e) » très ordinaire, que l’on trouve répétée sous la même forme en de nombreux lieux, et à propos de nombreux chevaux… Qui n’a jamais constaté un dimanche matin, au moment de l’embarquement pour se rendre sur un concours, que plus l’on s’inquiète de ce que le cheval soit difficile à embarquer, plus on s’énerve, plus on risque qu’il devienne effectivement impossible de l’embarquer ?
Le cheval, un extraordinaire « perceveur » d’émotions. © Agence DER - Fotolia.com
Ces histoires vont dans le sens d’une réaction négative du cheval dès qu’il perçoit une émotion désagréable (stress, colère…) chez les humains qui le côtoient. Quelques-unes vont plus loin : le cheval adapte aussi ses réactions à nos changements d’état émotionnel. Une amie m’a conté un jour de chagrin d’amour, où l’animal est venu au galop depuis le fond de son pré. Il s’est frotté à elle comme pour la consoler, « comme s’il savait » de quoi elle avait besoin.
Keyrann, le vertige et moi
La cavalière et écrivain Charlotte Bousquet raconte une histoire très révélatrice :
« … une randonnée que j’accompagnais en tant que deuxième guide (ou ramasseuse de casquettes). La responsable du groupe décide de prendre un raccourci, l’un des cavaliers perd un chapeau ou un foulard. Je descends de mon cheval (un entier d’une dizaine d’années à l’époque) pour le récupérer. Problème n°1 : les autres ne m’attendent pas. Il s’énerve, piaffe, etc. Problème n°2 : la pente est très escarpée, et je n’aime pas trop sangler de bon matin. La selle glisse. Keyrann s’énerve. Et moi, je m’affole : une crise de vertige monstrueuse. Il y a un énorme dénivelé et je ne gère plus rien. Je me laisse glisser, en larmes, sur le côté. Je lâche tout. Et Keyrann s’arrête immédiatement de piaffer. Il fourre sa tête dans mon cou et reste avec moi jusqu’à ce que je sois calmée. Il s’est montré adorable et doux durant tout le reste de la journée. »
Hasard ou empathie ? Keyrann a-t-il perçu le trouble de sa cavalière et réagi en conséquence ? C’est possible… Ces histoires ne sont pas limitées aux chevaux, nombre de propriétaires de chiens et de chats en citent de très semblables.
La science confirme l’empathie… pas la télépathie
L’empathie du cheval, dans sa définition de « faculté à percevoir l’état émotionnel d’autrui », fut le sujet d’une étude réalisée en 1996. Dans un centre équestre japonais, les scientifiques ont trié deux groupes de six personnes : d’un côté, ceux qui déclarent avoir peur des chevaux ou ne pas être à l’aise avec ces animaux, de l’autre, ceux qui déclarent aimer les chevaux ou être neutre à leur présence. Il a été demandé à chaque personne de serrer un cheval dans ses bras pendant 90 secondes. Le rythme cardiaque (RC) des gens et des chevaux a ensuite été mesuré. Les chevaux stressent (augmentation du RC) en présence d'une personne qui déclare en avoir peur ou ne pas les aimer. Leur RC est en revanche normal en présence d'une personne qui déclare les aimer, ou être neutre à leur présence. Et réciproquement. Conclusion, « Ces résultats suggèrent qu'une certaine interaction affective peut exister entre les humains et les chevaux1 »
La sociologue et zootechnicienne Jocelyne Porcher place elle-même l’empathie au cœur des qualités essentielles à une relation harmonieuse avec les chevaux : « Il faut de l’empathie pour comprendre l’autre et monter un projet commun »…
Cependant, l’empathie n’est pas la télépathie et ce serait une grave erreur que de confondre ces deux notions. L’empathie passe aussi par le décryptage du regard et de la position de l’autre, ce que l’on appelle le langage du corps – et nous savons depuis plus d’un siècle que le cheval est un champion dans ce domaine, en particulier grâce à l’histoire de Hans le Malin.
La télépathie est une « transmission de pensée » qui peut consister en des phrases, des sons ou encore des couleurs en plus de sensations. Et surtout, elle ne fait pas appel au langage du corps. Le britannique Rupert Sheldrake envisage la possibilité d’une communication télépathique à distance entre les animaux, et même entre l’humain et les animaux... une théorie que les scientifiques actuels réfutent avec force. Quelques personnes connues – comme Laila del Monte, qui travaille notamment avec Michel Robert – se disent cependant capables d’établir une communication télépathique avec les chevaux.
Le spécisme diminue, l’empathie envers les chevaux augmente…
C’est évident, la fréquentation des chevaux – nul besoin d’une étude sur un échantillon représentatif de 1000 personnes pour le prouver – nous fait du bien. Et si le cheval nous « donne » beaucoup d’émotions, la réciproque est tout aussi vraie. En tant qu’êtres humains, nous sommes naturellement « équipés » pour avoir de l’empathie envers les animaux. Elle ne diminue pas avec l’âge. En revanche, plus les enfants grandissent, plus ils apprennent le « spécisme », une hiérarchisation entre les espèces qui consiste à placer l’homme « au-dessus » des animaux, à considérer que ces derniers n'existent que pour être à leur service. Le spécisme est sociétal si l’on en croit une observation de Freud dans l’un de ses articles publié en 1917 :
« L'enfant ne ressent aucune différence entre son propre être et celui de l'animal ; c'est sans étonnement qu'il trouve dans les contes des animaux pensants, parlants […] C'est seulement après avoir grandi qu'il se sera suffisamment éloigné de l'animal pour pouvoir injurier l'homme en lui donnant des noms de bêtes. »
Ces dernières années, le spécisme tend à diminuer et l’empathie humaine envers les chevaux à augmenter. Il n’est qu’à se souvenir de l’indignation mondiale en février dernier, à la vue de la vidéo où le cheval d’endurance Splitters Creeks Bundy se brisait les deux canons.
Le cheval au secours des enfants autistes
Nombre de parents considèrent les chevaux comme d’excellents « professeurs » pour leurs enfants : ils aident à prendre conscience des rapports avec l’autre sans jamais les juger. Chez le cheval, un ressenti agréable ou désagréable entraîne une réaction en conséquence et en toute sincérité : il n’y a aucun décalage entre le ressenti et l’expression du ressenti. Une particularité qui rend le cheval très adapté à l’aide aux personnes autistes… Réputés ne pas avoir d’empathie, la réalité des autistes est plus nuancée : il s’agit plutôt d’une difficulté à interpréter les émotions des autres et à extérioriser leur propre ressenti, pour le faire comprendre aux neurotypiques (les personnes sans troubles autistiques). Les neurotypiques vont souvent percevoir les autistes d’une manière négative. Mais les chevaux ne jugent pas la personne autiste qui les côtoie, et les aident à mieux s'accepter.
Temple Grandin, zootechnicienne américaine de renommée internationale et cavalière régulière, a été détectée autiste « de haut niveau » (sans troubles intellectuels) à l’âge de quatre ans. Si elle éprouve des difficultés sociales avec les gens, son empathie envers les animaux va très au-delà de ce qu’elle peut interpréter chez les humains, comme elle le raconte dans son ouvrage L’interprète des animaux.
L’avènement d’internet permet de communiquer de très nombreux témoignages d’autistes ou de leurs parents, émus de voir leurs enfants « s’ouvrir au monde » grâce aux chevaux. Celui-ci concerne une jeune fille atteinte du syndrome d’Asperger :
[…] les insultes commencent : « Et grosse vache, c'est toi qui a cassé les amortisseurs ! ». […] Je commence à avoir l'habitude. Je pourrais répondre. Je devrais répondre. Mais voilà : je souffre du syndrome d'Asperger et je suis incapable de répondre. Incapable de parler. Incapable de me défendre. Je voudrais me fâcher mais rien ne sort. Je voudrais hurler « Vos gueules ! » mais je ne peux pas. […]
J'aime les chevaux. J'ai toujours préféré les animaux aux êtres humains. Les animaux ne vous jugent pas. Ils vous donnent de l'amour gratuitement. […] Nathalie m'a dit qu'on allait prendre Figaro. C'était le plus vieux cheval du poney club et il était le meilleur pour les débutants car il était très doux et obéissant. Je suis montée sur lui, pas très à l'aise, mais Nathalie est une bonne monitrice et Figaro un cheval merveilleux. L'essai a été magnifique. Je suis montée sur un ange. Je l'ai aimé dès le premier jour. Mon Figaro. Je ne sais pas montrer mes sentiments, mais je lui ai envoyé tellement de pensées d'amour qu'il n'a pas pu faire autrement que le sentir. Je n'avais plus envie de descendre. Je voulais rester avec lui. Rien qu'avec lui. Oublier cette méchanceté tout autour de moi. Rester sur son dos et faire le tour de la terre. Pour la première fois de ma vie, je parvenais à « déconnecter », à ne plus me laisser envahir par toutes ces pensées, à avoir l'esprit libre, vide, serein...
Séverine Sileig, Pour toi Figaro2
De son côté, SAR la Princesse Alia de Jordanie (ne pas confondre avec SAR la Princesse Haya, ex-Présidente de la FEI) a également démontré l’utilité du contact avec les chevaux chez les enfants autistes. Elle a fondé le projet Growing Together ("Grandir ensemble") dans le but de permettre à des enfants autistes, présentant des désordres émotionnels et des besoins physiques particuliers, de surmonter leurs problèmes grâce au contact avec les animaux et notamment les chevaux. Certains de ces enfants ont pu arriver à suivre une scolarité normale.
Le projet avait été initié avec principalement des chevaux en retraite ou sauvés de la maltraitance ou de l’abattoir.
« Aucun de ces chevaux n’avait subi d’entraînement spécifique » explique SAR la Princesse Alia, « les enfants ont rencontré les chevaux, et en quelques minutes chaque enfant a été « choisi » par l’un des chevaux - le lien entre eux étant clairement mis en lumière par des indications physiques de la part du cheval. Le programme est conduit au rythme de chaque enfant. Certains sont extrêmement anxieux du simple fait d’être dehors, d’autres veulent monter sur le cheval dès le premier jour, d’autres encore prennent des semaines pour s’approcher suffisamment d’un cheval pour le toucher. Mais il y a eu de véritables miracles et presque tous les enfants ont montré des progrès vraiment stupéfiants ».3