Développer l’emploi des personnes autistes, tout le monde y gagne
En Europe et dans le reste du monde, les grandes et petites entreprises découvrent les bénéfices mutuels d’employer des personnes avec autisme. Cet article explore plusieurs approches innovantes.
L’autisme était auparavant considéré comme un trouble rare, or aujourd’hui entre 1 enfant sur 100 et 1 sur 150 est diagnostiqué avec autisme
1. Actuellement, l’Union Européenne compte 3,3 millions de personnes avec autisme. Pour les enfants, l‘accès au diagnostic et aux thérapies s’améliore en Europe, mais les adultes sont confrontés au chômage ainsi qu’au manque ou à l’absence de soutien dans la plupart des régions.
Des études ont montré qu’entre 76
2 et 90
3 pour cent des adultes avec autisme étaient sans emploi. Ces statistiques ne sont peut-être pas surprenantes en raison des difficultés que les personnes autistes rencontrent dans le domaine des interactions sociales et de la communication, ce qui constitue une barrière dans le milieu professionnel. Ces difficultés se manifestent dès l’étape des entretiens d’embauche, mais peuvent également poser problème pour comprendre les instructions des supérieurs, dans la gestion du temps et l’interaction avec les collègues. Néanmoins, ces barrières à l’emploi ne sont pas seulement liées au handicap mais aussi à la stigmatisation et à la discrimination dont les personnes avec autisme font encore l’objet. Or la plupart des adultes avec autisme souhaitent vraiment travailler et peuvent même exceller à certains postes. Une étude menée au Royaume-Uni montre que 79 pour cent des personnes avec autisme qui perçoivent des allocations de chômage préfèrent travailler, à condition de recevoir le soutien nécessaire
4 à surmonter les obstacles qu’ils rencontrent. .
Apporter le soutien nécessaire aux personnes avec autisme afin de les aider à trouver un emploi, c’est précisément ce qu’un nombre croissant d’entreprises mettent en œuvre à l’heure actuelle. Un pionnier en la matière est l’entreprise informatique danoise Specialisterne. Créée en 2004, par le père d’un jeune homme avec autisme, l’entreprise emploie aujourd’hui une majorité de personnes avec autisme. Elles travaillent notamment dans le domaine des tests de logiciels, de la programmation informatique et de l’encodage de données en sous-traitance pour des entreprises. Specialisterne considère les caractéristiques uniques des personnes avec autisme, notamment le sens du détail, le goût pour les tâches répétitives, la tolérance zéro face aux erreurs, la persévérance et la loyauté, comme de précieux atouts pour fournir un travail de haute qualité. Implantée dans une dizaine de pays, Specialisterne a déjà permis à plusieurs centaines de personnes avec autisme de trouver un emploi. Son objectif est de créer un million d’emplois pour les personnes avec autisme à travers le monde. A cette fin, Specialisterne collabore avec des entreprises comme Nokia, Deloitte, Cisco, Microsoft et Oracle. Elle espère ainsi créer de l’emploi et fournir des services de recrutement, de formation et de soutien pour les personnes avec autisme dans le monde entier. En ce moment, Specialisterne collabore avec la multinationale allemande SAP. D’abord implantée en Inde et en Irlande, SAP emploie des personnes avec autisme pour effectuer des tests de logiciels et d’autres tâches similaires. SAP considère qu’il est avantageux, d’un point de vue compétitif, d’exploiter les compétences uniques des personnes avec autisme, qui accèdent ce faisant à un emploi de qualité. Compte tenu des résultats probants du programme, l’entreprise a décidé d’augmenter à environ 1% la proportion de ses employés avec autisme d’ici 2020.
Dans presque tous les environnements de travail, les compétences sociales et les aptitudes à communiquer sont indispensables pour résoudre les problèmes quotidiens et effectuer des tâches imprévues. Lorsque les employés avec autisme ont du mal à gérer ces tâches en raison de leur handicap, il est toujours possible de trouver une solution. Passwerk, une petite entreprise belge de tests de logiciels, a développé des stratégies pour gérer ces situations sur le lieu de travail. Inspirée par Specialisterne, Passwerk emploie des personnes avec autisme et offre des formations et du coaching à ses employés, non seulement pour leur développement professionnel, mais aussi pour les aider à développer des compétences sociales, en fonction des besoins spécifiques de chacun. En outre, lorsqu’un employé ne peut effectuer une tâche particulière en raison de difficultés liées à l’autisme, un coach intervient afin de lui venir en aide. Passwerk compte un coach pour sept employés avec autisme. Les coaches travaillent étroitement avec les employés avec autisme. Ils sont les premières personnes de contact, pour les employés et pour les clients. Comme dans les autres entreprises, les aptitudes respectives des employés sont utilisées de la façon la plus appropriée et la plus efficace possible.
Le fait que les personnes avec autisme sont particulièrement douées en informatique est désormais presque devenu un stéréotype, mais ce n’est de loin pas le seul domaine où les personnes avec autisme peuvent exercer un emploi. Aux Etats-Unis, une petite entreprise agricole, Green Bridge Growers, a été fondée par les parents d’un jeune homme avec autisme diplômé de l’université mais découragé par les exigences sociales du monde du travail auxquelles il avait du mal à faire face. La petite entreprise est capable de produire toute l’année, grâce au système de cultures aquaponiques où poissons et légumes croissent en harmonie. Aujourd’hui l’entreprise emploie un certain nombre de personnes avec autisme et constate que leurs compétences répondent parfaitement aux exigences de l’aquaponique en matière de planning, de précision et de surveillance.
Greenbridge Growers a été fondé pour répondre à un problème touchant les adultes avec autisme dotés d’une grande intelligence. Une fois l’école secondaire terminée, les jeunes avec autisme sont confrontés, le plus souvent, au manque d’opportunités de formation et professionnelles qui correspondent à leur profil. Une enquête lancée par Autisme-Europe montre que seulement 37 pour cent des adultes avec autisme en Europe ont la possibilité de suivre une formation continue et/ou professionnelle
5. Et pour ceux qui parviennent à terminer leurs études secondaires voire universitaires, les défis que représentent les exigences sociales et de communication, ainsi que le manque de compréhension de leur condition et de leur besoin de soutien les empêchent très souvent d’accéder au marché du travail ordinaire. Une étude menée au Royaume-Uni révèle que 26 pour cent des personnes avec autisme ayant réussi leurs études supérieures ou universitaires sont sans emploi, un pourcentage deux fois plus élevé que dans d’autres groupes de handicap
6.
Etant donné le grand nombre d’adultes avec autisme disponibles et désireux de travailler, les initiatives destinées à promouvoir leur insertion dans le monde du travail se répandent avec succès à travers le monde. Ainsi certaines multinationales souhaitent atteindre des objectifs à la fois sociaux et commerciaux et sont désireuses de créer une main d’œuvre plus diversifiée. En 2007, la chaîne pharmaceutique américaine Walgreens a ouvert un nouveau centre de distribution où plus de 40 pour cent de son personnel sont des personnes handicapées, dont des personnes avec autisme. Les personnes ayant des besoins spécifiques reçoivent une formation les préparant à leur emploi et tous les employés, avec ou sans handicap, sont tenus de remplir les mêmes objectifs de productivité. Walgreens a pour objectif d’octroyer 10 pour cent des postes de son centre de distribution à des personnes en situation de handicap et a déjà atteint la moitié de cet objectif.
En Italie, le géant des cosmétiques L’Oréal vient de démarrer un projet à long terme pour encourager l’emploi des personnes avec autisme à l’entreprise. L’Oréal collabore avec la Fondazione TEDA (une association de l’autisme) pour intégrer de jeunes adultes avec autisme à sa main d’œuvre. Les postes à pourvoir concerne notamment les tâches administratives telles que le traitement de bases de données, la mise à jour des dossiers, l’encodage et l’archivage ; le conditionnement des cosmétiques ; le contrôle de la qualité et de la sécurité. L’entreprise a mis au point une formation pour ses employés avec autisme, ainsi que pour les autres membres du personnel et les managers et a désigné des tuteurs parmi ses employés pour coacher les membres du personnel avec autisme. L’Oréal a adopté une politique garantissant qu’au moins 2 pour cent des postes seront occupés par des personnes handicapées. Selon l’entreprise, ce projet doit son succès en grande partie à la bonne coopération avec les personnes avec autisme et avec la Fondazione TEDA.
L’approche de L’Oréal témoigne d’un engagement sur le long terme vis-à-vis des personnes avec autisme, mais répond également à des objectifs stratégiques et commerciaux. En effet, la recherche montre que les entreprises qui emploient des personnes handicapées affichent de meilleurs taux de rétention et évitent d’importants coûts liés au roulement du personnel. D’autres études révèlent que le taux de rétention des personnes handicapées, un an après l’embauche, est de 85 pour cent
7.
Il existe d’autres exemples qui suscitent l’inspiration pour promouvoir l’emploi des personnes autistes. Ainsi un groupe d’adultes atteints du Syndrome d’Asperger ont décidé de fonder le Laboratory of Exploratory Multimedia (LEM) en 2007. En effet, au cours d’échanges par e-mails, ces personnes ont constaté leur difficultés communes à trouver un emploi, en dépit de leurs compétences techniques et professionnelles. La coopérative italienne offre aujourd’hui des services complets en web design, design graphique, publication assistée par ordinateur et traduction. Un petit groupe de personnes avec autisme vient également d’être formé en archivage numérique via un projet spécifique. Outre l’aspect professionnel, la coopérative propose aussi des activités sociales et culturelles.
Tout au long de leur vie, les personnes avec autisme éprouvent des difficultés à communiquer et à interagir avec les autres. L’autisme est un trouble du spectre autistique. Cela signifie qu’il affecte chaque personne d’une manière différente. Certaines personnes avec autisme sont capables de mener une vie relativement indépendante, de fréquenter l’université et de développer des compétences professionnelles tandis que d’autres peuvent présenter un handicap mental et avoir besoin d’un soutien constant tout au long de leur vie, 24 heures sur 24. Cependant, malgré la sévérité de leur handicap, ces personnes sont également capables de travailler.
La fondation italienne Oltre Labirinto onlus est en train de développer le « Villagio Monica Migotta », une entreprise résidentielle et sociale pour adultes avec autisme, dans la province de Veneto. L’essentiel de ses activités sera concentré sur le tourisme local, les résidents pourront y exercer des activités professionnelles telles que l’exploitation agricole, la vente de produits alimentaires en magasin et sur le marché, la pâtisserie, la restauration, la location de vélos et d’emplacements pour camping cars. Certains adultes avec autisme pourront gagner leur vie tandis que d’autres (compte tenu de la sévérité de leur handicap) contribueront modestement à leurs besoins personnels. En plus de fournir de l’emploi à ses résidents, ces activités leur donneront l’occasion d’interagir avec la communauté locale, d’y jouer un rôle significatif et de contribuer à la durabilité économique du village. La construction du Villagio Monica Migotta a débuté en 2008 et est actuellement en cours.
L’interaction sociale que permet le Villagio Monica Migotta et d’autres types d’emplois constitue un moyen de surmonter un obstacle majeur auquel se heurtent beaucoup d’adultes avec autisme : l’isolement social. Une enquête menée par Autisme-Europe8 révèle qu’en Europe, beaucoup de personnes avec autisme ont peu voir pas de vie sociale. Sans emploi, la majorité des adultes avec autisme se retrouvent isolés et sont très dépendants de leurs familles et de l’aide sociale.
Pour les personnes avec autisme, accéder à l’emploi, représente plus qu’un simple travail – cela leur donne également la possibilité de mener une vie plus épanouie et indépendante. En outre, de grandes entreprises à travers le monde sont en train de réaliser qu’employer des personnes avec autisme va bien au-delà de la philanthropie et de la responsabilité sociale des entreprises : l’utilisation de leurs compétences et la création d’une main d’œuvre plus diversifiée contribuent au succès de ces grandes entreprises, pour le bénéfice de toutes les parties prenantes.
En savoir plus :
http://www.autismeurope.org/campaigns/a ... mployment/
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