Comte_Pseudonyme a écrit : ↑mardi 12 avril 2022 à 16:03
Sur le chemin du retour de la faculté, je me suis fait une promesse. Rédiger un post concis et complet, bien relu, de mes tribulations de ces derniers jours.
Je suis dans une situation excessivement paradoxale. Je suis heureux, mais triste. J'ai fais le bien, mais ais l'impression d'avoir mal fait. J'explique.
Depuis quelques mois, je suis sur la liste des Secrétaires d'Examens pour mon Université. Concrètement, le travail d'un SE est de faire ce qu'un étudiant handicapé ne peut pas lors d'un examen écrit. Souvent, c'est être sa plume. J'avais été recruté, sans contrôle outre le fait que je sois en Master, la veille pour le lendemain, pour une urgence. Curieux, dans tous les sens du termes, comme je l'ai indiqué dans mon premier post, j'ai posé de nombreuses questions. J'ai même eu un rendez-vous avec ce que je suppose être la patronne du pôle handicap de mon université. On m'a expliqué la réalité de la chose. 1300 dossiers d'aménagements, 20 secrétaires. Tous les dossiers n'ont pas besoin de secrétaire, mais ça reste très précaire. Je fais pars de ma surprise : pas de maquette pour indiquer en quoi consiste mon travail, puisque je suis bel et bien salarié.
Hier, lundi, c'est mon premier grand "secrétariat". Je vais suivre une étudiante de L2 pour toute une semaine d'épreuve. Du moins, c'est ce que je pensais. Elle ne vient pas. Je comprend que j'ai une collègue dans la salle d'à côté : même chemise en carton, elle surveille et aide matériellement à passer une épreuve, une secrétaire d'examen. Je lui fais part de ma situation. Avec un peu de morgue, elle me dit "Ah oui :
elle. Tu as pas de chance." Je ne me souviens plus des termes exacts, mais ils étaient un peu méprisants. L'étudiante à l'habitude de poser des lapins. Elle s'est faite une réputation. On me donne son numéro. J'appelle l'étudiante. Elle à une maladie chronique qui cause une immunodépression. Je suppose qu'il n'y a pas que son système immunitaire qui est déprimé. Je la rassure, lui dis que l'important est sa santé. Je garde l'information qu'elle me confie pour moi. Ça ne regarde personne d'autre quelle et ceux à qui elle veut confier l'information.
À la scolarité aussi, elle à une réputation. Celle qui ne vient pas et ne préviens pas. Je ne sais pas trop quoi dire, et je ne dis rien. Aujourd'hui, ce matin, rebelote. Je regarde le sujet en attendant : je ne comprend pas le système d'anonymisation. Il est différent de celui de ma faculté. Je demande à un collègue, à nouveau. J'attends. 10h01, j'appelle l'étudiante. J'essaie d'être rassurant tout en transmettant poliment les propos et l'exaspération du reste du personnel. Je vais ramener le sujet. Cet après midi, pour 14h30, je me présente à nouveau, avec une dizaine de minutes d'avance, encore. À nouveau, je suis accueils avec un peu de mépris et de morgue pour l'étudiante que je m'apprête à accompagner. Je doute fortement qu'elle se présente, mais je préfère réserver mon jugement. Je ne suis pas là pour la juger. Et j'essaie de le rappeler au personnel de la scolarité : si ça se trouve, elle à un TAG. J'argue que j'étais de l'autre côté il n'y a pas si longtemps. Je sais ce que c'est de ne pas pouvoir faire le plus simple. Il y a comme un recul de la part des deux administratives. Elles se rendent comptent qu'elles ont peut-être versé du venin non pas sur une tire-au-flanc, mais sur une étudiante handicapée. Vous savez, du genre prise en charge par la Mission handicap ? La morgue s'en va, le professionnalisme revient. On me dit qu'on va l'appeler. Je vais en salle. Je désinfecte la table et les chaises, comme les deux fois d'avant. Prépare le plan de travail. Fenêtres, etc.
Une des administratives vient me voir. "Vous aviez raison. Elle n'a pas l'air bien." Elle ne viendra pas de la semaine. Je suis un peu atterré. Un peu révolté. Un peu triste. Un peu triomphant aussi. Face à la médiocrité, j'ai remporté une petite victoire tranquille.
Je me dis que je vais faire un détour par la mission handicap au lieu de simplement laisser un mail. Je quitte le bâtiment droit lettre et me rend à la Maison de l'Université. Je quitte un bâtiment de béton plaqué pierre avec des arches métalliques qui rouillent (et de l'amiante) pour aller au cœur de l'Université, son cœur administratif. Je me dirige en disant bonjour vers les bureaux de la maison handicap. Trop habitué aux scolarités, je toque et entre sans attendre. Personne. Beau symbole. Une dame un peu affolée se précipite du bout du couloir dans ma direction.
Elle à la lippe molle et presque aussi tremblotante que son gobelet de café vide. Qu'est-ce qui me prend de faire ça ? Qui suis-je ? Ah, vous ! Je dis que je viens signaler quelque chose. Elle me dit que je signal beaucoup de choses, l'air entendu et irrité. Je demande si c'est un mal. Elle ne répond pas et me parle de mes heures. Sous entendues, celles que je n'ai pas faites à cause de l'absence de l'étudiante mais qui me seront quand même payées ? Je ne viens pas pour ça, mais c'est trop tard. J'ai mis mon nez masqué de son FFP2 dans SES affaires, dans SON bureau, et elle semble gorgée d'adrénaline, et puis,
elle à lu le mail. Ah, les gens qui lisent mes mails mais ne répondent qu'à la moitié des trois questions ! Comme j'aime quand ils font comme s'ils savaient exactement de quoi je parle.
Elle dit savoir très bien pourquoi je viens d'ailleurs. Elle déballe ce qu'elle dit savoir devant moi. Je ne sais pas si j'avais l'air médusé, ou avec des envies de meurtres, parce qu'une tierce partie finira par intervenir. Je demande à madame lippe molle tremblante la permission de parler. Je lui explique ce dont je viens être témoin : des déficiences de système, manque de formation. "Oui, mais pour ça il faut voir avec Madame P. et elle n'est pas là..." Bref. Médiocrité absolue. Pas prendre de notes, pas de compréhension, pas de compétence humaine. Pas d'humain en face ceci dit. Juste une lippe qui tremble accrochée à son gobelet, comme une moule dans une coquille fade et molle, accrochée à un mug à caféine, en hypothermie. Pas assez de chaleur humaine. Peut-être que c'est pour ça qu'elle s'accroche aussi fort à son gobelet de café en carton. La chaleur ?
Le genre de personne si pitoyable et médiocre qu'elle peuvent vous donner l'impression que c'est vous qui faites mal, juste parce qu'elles ont un aplomb incroyable pour faire leur travail, mal, en toute confiance.
Je sais que c'est culotté de venir dans des bureaux sans rendez-vous. Mais je sais aussi qu'il faut parfois être culotté pour avoir des résultats. Il fallait que je sois culotté pour demander pourquoi on n'avait pas de formation, ou pour demander pourquoi il n'y avait même pas d'entretien d'embauche. Une collègue de la médiocre m'extrait d'une conversation stérile avec une chicote affolée. Je bloque sur cette gratte papier. Tout est navrant chez elle. Le souffle court, comme la peur qu'elle à devant moi qui écoute poliment. Mais rien. Elle pense que je suis là pour une affaire d'argent. Je m'en fous, des tunes (payé au SMIC pour moins de 20h par semestre, ça change ma vie), duconne ! Je suis boursier et ne vais pas cracher dessus, mais c'est pas le sujet. Si tu avais été à ma rencontre sans putain d'apriori, tu n'aurai pas paniqué et m'aurai entendu. On aurait pu discuter. Mais non. Il fallait que tu sois la sachante, et moi l'emmerdeur.
Je suis donc extrait de cette médiocre et tout à fait banale interaction sociale pour arriver au bureau de madame P. "Mes excuses pour arriver à l'improviste, mais..." Et je vide mon sac à nouveau. Elle me fait savoir que je fais bien et que je suis utile : une maquette pour les Secrétaires d'Examens est faite, il faut juste qu'elle soit validée par la hiérarchie. La conversation est bien moins fluide que ça, mais elle se passe bien mieux. Je suis un peu tendu, anxieux. Mais elle, au moins, elle écoute et comprend le problème. Le papier qui à été enfanté par mes questions tournera auprès de tout le personnel concerné, j'espère. Je n'ai pas encore pris le temps de lire la copie qu'elle m'a donnée en douce, parce que je suis épuisé. Mais on discute un peu. Je parle du manque d'empathie. Je parle de l'affiche université inclusive que j'ai vue dans le couloir de son bureau : ça ne se voit pas beaucoup. Manque de formation, de sensibilisation. Elle me dit qu'elle est d'accord, qu'encore une fois, nos premiers échanges ont été productifs. Au passage je ne peux pas m'empêcher de dire que j'étais de l'autre côté de la barrière, que je sais ce que c'est, que je veux faire bien. Empathie et boule de gomme. Etc.
Je fatigue vraiment. Me relire. C'est potable.
Je trouve ça paradoxal. Je suis épuisé et en train de faire une demande d'ALD, et je suis secrétaire pour des gens en ALD. Il faut des gens cassés pour comprendre le bonheur de la complémentarité. Pour le reste, je ne sais pas. Je suis partagé. L'impression d'avoir été pertinent, impertinent. Malpoli, tout en étant très poli. (J'ai même le réflexe de m'incliner un peu pour dire au revoir. Très XIX
e siècle dans la façon de faire...)
Et tout ça, sans les bouchons d'oreille. Le tram, le bruit de la fontaine, des couloirs de la fac, sans les bouchons. Maintenant que je sais que ma semaine est terminée, je suis en pleine descente. Rincé. Grande fatigue. Manque de sommeil, sans doute. J'ai essayé de veiller sur mes pensées automatiques pour mon psy TCC, mais rien, nada. Je suis trop occupé à me concentrer sur ce que je fais. Et j'ai oublié de dire à madame P, que, du coup, j'étais bien évidemment disponible en remplacement, en cas de pépin. Mais bon. Je suppose qu'elle s'en doute. Je ne sais pas ce qu'elles pensent de moi, ces dames. Je ne sais pas si c'est important. Mais je ressens, douloureusement, le fait de ne pas être normal. Et je me sens seul. Et j'ai froid. Et je suis en train de pleurer.
J'ai vraiment besoin dormir.