Dix polars pour frissonner en vacances - Sélection Télérama
Spoiler :Brazilian Psycho”, Joe Thomas
Près de 600 pages grand format, denses, frénétiques, radicalement noires. Le Britannique Joe Thomas raconte la ville de São Paulo entre 2003 et 2019, de l’élection de Lula à celle de Bolsonaro, en multipliant les personnages, les actions et les points de vue. Des riches, des pauvres, des flics, des mafieux, des politiciens, des cadors de la finance. Pour dire au quotidien la violence, la corruption et le détournement d’argent public à tous les étages. Brazilian Psycho, c’est le roman monstre d’une ville-monde. Si son titre renvoie évidemment au fameux succès de Bret Easton Ellis, sa forme évoque plutôt James Ellroy ou David Peace. L’écriture est sèche, rapide, phrases courtes, dialogues au cutter, hachure du texte, mitraille des mots. Difficile de résister à ce torrent romanesque qui mêle si bien réalité et fiction. Éminemment politique, il tente de comprendre ce qui s’est passé après l’élection de Lula pour que le pays en vienne à élire Bolsonaro. En gros : comment en est-on arrivé là ? – M.A.
Traduit de l’anglais par Jacques Collin, éd. du Seuil, 592 p., 24 €.
“Le Présage”, Peter Farris
Toxey rêve d’être photographe, comprend d’instinct à quel moment le cliché sera juste. Un jour de fête foraine, il photographie une jeune femme enceinte. C’est elle qu’on retrouvera morte dans la réserve naturelle de la Lokutta. Aucune trace de son bébé. Derrière cette affaire sordide se dresse un homme politique qui se pense le maître du monde et possède tout dans la région, du côté de la Géorgie. Peter Farris est un écrivain bouleversant qui sait à la fois parler de la corruption et de la beauté. Dans ce nouveau roman, l’auteur du Diable en personne met face à face une sorte de Donald Trump effrayant et un idéaliste qui ne lâche pas l’affaire. Il faut saluer aussi l’écriture de Peter Farris, directe et descriptive, rythmée et incarnée pour dénoncer la corruption et sa violence illimitée. – C.F.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anatole Pons-Reumaux, éd. Gallmeister, 496 p., 24,90 €.
“Loin en amont du ciel”, Pierre Pelot
Il a commencé par le western. C’était dans les années 1960-1970 et son héros s’appelait Dylan Stark. Pierre Pelot n’a jamais oublié ses premières amours ; les revoici en pleine vigueur poétique dans ce nouveau roman qui se déroule à la fin de la guerre de Sécession. On y croise des cavaliers solitaires, des armes à feu, et surtout des bandes de filles et des gangs de sales types qui tuent comme ils respirent. Pelot décrit la région des Ozarks comme personne, prenant le temps d’accompagner la beauté d’un paysage en dénichant toujours le mot juste. Soudain, il devient comme déchaîné pour accompagner les sœurs McEwen trahies mais vengeresses. Un sacré escadron de femmes révoltées, magnifiques justicières dans un monde de chaos
Éd. Gallimard, coll. La noire, 384 p., 21,50 €.
“Les Brouillards noirs”, Patrice Gain
Au premier abord, il s’agit d’une enquête racontée serré, de plus en plus haletante et violente. L’histoire d’un homme venu aux îles Féroé pour tenter de retrouver sa fille. Elle est arrivée là en vacances, n’est pas rentrée, est injoignable. Il la cherche ainsi dans ce bout du monde, solitaire et oppressant, perdu dans l’immensité de l’Atlantique Nord, dont l’usage lui échappe totalement. Et découvre bientôt qu’elle avait rejoint des militants d’une ONG engagés contre la chasse à la baleine. Des militants très mal vus de la population, majoritairement favorable à cette tradition ancestrale, des dizaines de baleines rabattues vers la côte et brutalement massacrées. Le texte se situe ainsi entre polar et roman d’aventures, avant qu’à la violence sauvage du récit se mêle peu à peu une musique plus douce, mélancolique et déchirante. L’histoire tragique d’un père et d’une fille qui se sont manqués. – M.A.
Éd. Albin Michel, 256 p., 19,90 €.
“On dirait des hommes”, Fabrice Tassel
Le petit Gabi, c’est comme du vif-argent. Un soir, en promenade avec son père, il court sur la jetée, tombe dans l’eau et disparaît. Thomas a beau plonger pour tenter de le sauver, il ne peut rien faire.
Le roman de Fabrice Tassel se place presque un an après le drame et alterne le passé et le présent de Thomas et Anna, le couple en deuil. Cette fiction admirablement construite accompagne les pensées et les gestes de ces êtres écrasés de douleur, mais elle écoute aussi l’intime conviction de la juge d’instruction Dominique Bontet, qui ne lâche jamais une enquête avant le terme légal. Tirant sobrement le fil d’une histoire où la culpabilité le dispute à l’ambiguïté des sentiments, le romancier ne cherche pas seulement à résoudre une affaire mais à écouter les douleurs humaines, décrypter la lâcheté des uns, la fragilité des autres, les mensonges et les contraintes de chacun. Un roman magistral. – C.F.
Éd. La Manufacture de livres, 288 p., 19,90 €.
Proies, Andrée A. Michaud
Le décor d’abord, dont l’autrice québécoise fait toujours le socle de son intrigue. La forêt, mise en scène comme une force agissante, superbe et menaçante tout à la fois. La forêt dans laquelle il est facile de se perdre, qui peut cacher les pires dangers. L’histoire se passe dans le sud du Québec, à la frontière avec les États-Unis. Trois ados partent, en fin d’été, camper quelques jours dans la forêt et le texte distille, dès les premières pages, des éléments troublants : des frémissements sur l’eau, annonciateurs de tempête, des craquements aux origines incertaines, le sentiment chez les ados d’être en permanence observés. Et bientôt la certitude que leur campement a été visité. Et qu’ils sont devenus des proies. L’écriture d’Andrée A. Michaud, extrêmement dynamique, joue subtilement des métaphores empruntées aux paysages, à la nature, elle porte les odeurs, les bruits les plus imperceptibles, les mouvements indicibles. Elle sollicite ainsi tous les sens du lecteur, qui ressent, qui écoute le texte autant qu’il le lit. – M.A.
Éd. Rivages Noir, 280 p., 21 €.
Le Mal en personne, Jorn Lier Horst
Cette nouvelle enquête menée par William Wisting, signée Jorn Lier Horst, met en difficulté le policier norvégien et sa fille journaliste, qui travaille souvent avec lui. Lors d’une reconstitution en pleine forêt, le criminel Tom Kerr disparaît, visiblement aidé dans sa fuite par un comparse. Wisting a bien du mal à retrouver ce meurtrier de jeunes femmes et sa fille elle-même est menacée. L’auteur du Code de Katharina sait parfaitement unir la placidité de son héros, acharné à connaître la vérité, et la traque d’un criminel qui guette ses proies pour les faire longuement souffrir. Sans oublier la neige et le brouillard du sud de la Norvège, inquiétants à souhait. – C.F.
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, éd. Gallimard, coll. Série noire, 416 p., 20 €.
Le Dernier Loup, Corrado Fortuna
Imaginez un petit village entouré de forêts, à l’écart dans les montagnes, au nord de la Sicile. Enfant, Tancredi Pisciotta a passé beaucoup de temps dans ce village où son grand-père avait un mobile home. Il n’a plus mis les pieds dans cette maison depuis quinze ans, mais il y revient pour se reposer d’une année éprouvée par la mort de son frère et les difficultés de son couple qui ne parvient pas à avoir d’enfant. L’ambiance est mélancolique et Le Dernier Loup est d’abord un formidable roman d’atmosphère, dont le charme opère immédiatement. Parti se promener, Tancredi découvre, dans la montagne, un homme gravement blessé, un jeune berger dont le dernier mot à peine audible est « le loup ». L’auteur joue ainsi sur l’ambiguïté de son récit, à cheval sur le territoire du conte, la forêt, le loup, et sur une intrigue très réaliste : qui a tué le jeune berger ? À la mélancolie qui baigne tout le roman se marie ainsi un récit très vif, chapitres courts, dialogues incisifs, rythme enlevé. Sans que la fin permette de décider précisément où se situe la vérité de cette histoire infiniment subtile. – M.A.
Traduit de l’italien par Anita Rochedy, éd. Gallmeister, 208 p., 22,20 €.
Tuez Skripal !, Jean Claude Bartoll
Skripal est un ancien espion militaire russe exilé en Angleterre. On le retrouve inconscient dans un jardin public avec sa fille, et chacun d’y aller de ses déductions : overdose, drogue dure, empoisonnement. Flics et politiques se renvoient la balle, Poutine nie tout, la Première ministre britannique est persuadée que le maître du Kremlin est derrière tout ça. C’est l’occasion pour deux agents de la DGSE, en particulier la belle Ava, de mener l’enquête dans le monde entier. L’affaire Skripal est une histoire vraie, vivement réadaptée par Jean-Claude Bartoll qui prend soin de renverser les vérités, jouer avec les faux-semblants et faire mentir tout le monde. Le retour du roman d’espionnage est vraiment une bonne nouvelle. – C.F.
Éd. Gallimard, coll. Espionnage, 480 p., 22 €.
Un conte parisien violent, Clément Milian
La place Stalingrad, dans le nord-est de Paris. Salomé, 14 ans, des airs de garçon manqué, short en jean déchiré, toujours scotchée à son skate, habite un immeuble pas loin. Mais l’appartement est déserté, en ce début d’été, parents aux abonnés absents, sœur partie avec un mec. Alors elle vit sur la place, au milieu des dealers auxquels elle rend parfois des services, camés, mendiants. Toute une cargaison de paumés. En particulier Mamadou, son meilleur pote toujours en place sur le même banc. Salomé sait bien que certains des types qu’elle fréquente ne sont pas des mecs sympas. Mais elle fait semblant de l’oublier. Comme elle fait semblant de ne pas voir que les hommes ne la regardent plus comme une petite fille. C’est sa voix que l’on entend. Ses mots, très crus, son impertinence, son rythme, son énergie. Clément Milian excelle à faire vivre cette voix, d’une formidable présence. Le lecteur vit, page après page, la montée de la tension, sans qu’aucun artifice, rebondissement ou autre, n’intervienne. Il sait que l’histoire va s’accomplir. Il l’appréhende. – C.F.
Éd. L’Atalante, coll. Fusion, 256 p., 19,90 €.